Nous devons nous reconnaître redevables envers le Président de la République d’une brusque animation de l’activité politique avec son projet de révision constitutionnelle. Il nous a tirés de la torpeur. S’attendait-il à une telle réaction de la part du peuple ? Nul ne connaît la tournure que prendront les événements. Mais, d’avance, le pouvoir se trouve en bien mauvaise posture. Les Deuxièmes Assises de la CMP ont été organisées à dessein pour soutenir le projet. Face à l’ampleur de la mobilisation des oppositions, parlementaire comme extraparlementaire, la CMP, coquille vide, s’est brisée. L’on s’attendait, à la suite de ces assises, à un resserrement de ses rangs. Le contraire s’est produit avec la prudence affichée par certains partenaires quand on s’attendait, de leur part, à plus d’audace.
La CMP s’étant révélée inefficace, le RPM s’est senti obligé de monter aux créneaux. Il multiplie les sorties, donne de la voix, mais éprouve de la peine à étouffer celle des oppositions. Des associations se sont créées pour venir à la rescousse. On sait ce que l’opinion publique pense de telles associations, de telles initiatives. Après la manifestation tenue dans la salle Salamatou Maïga, certains n’ont pas hésité à établir le parallèle avec la marche de soutien au programme du Parti organisé par les militants de l’UDPM le 6 janvier 1991 : une contre manifestation qui n’aura pas l’effet escompté. Aux dires de certains, c’est une clique qui a envahi la salle sans réellement savoir la raison pour laquelle elle se trouvait en tel endroit.
Tout à fait le contraire de la mobilisation de samedi 15 juillet, comme celle des deux mobilisations qui l’ont précédée, une marche et un meeting : elles prouvent la détermination à s’opposer, contre vents et marées, à la concrétisation d’un projet jugé liberticide. Nous sommes en démocratie. Nous avons des textes à respecter. Parmi ces textes, la loi fondamentale qui reconnaît comme prérogative du chef de l’Etat la possibilité de procéder à une révision constitutionnelle. L’opposition le sait. Mais sa mobilisation se justifie : nos démocraties africaines sont plus qu’imparfaites et sont susceptibles, si l’on n’y prenne garde, de conduire à des dérives. S’en remettre au verdict des urnes, c’est s’exposer à de gros risques. Depuis les révélations du diplomate français Laurent Bigot sur les élections de 2002 au Mali, nous savons ce à quoi nous en tenir quand il s’agit de votes populaires en Afrique francophone.
Ce qui se passe aujourd’hui, sous nos yeux, est suffisamment révélateur de la facilité avec laquelle nous nous sommes donné des textes sans évaluer, sérieusement, leur portée. La démocratie en Afrique, ou, plus précisément, le multipartisme, bat de l’aile parce que son instauration n’a pas été mûrement réfléchie. En 1992, lors de son adoption et de sa promulgation, notre Constitution a été présentée par certains comme l’une des meilleures au monde. Une dizaine d’années, nous nous retrouvons rattrapés par la réalité. Lors d’un débat, à l’occasion d’une rentrée littéraire, une passionaria du mouvement altermondialiste l’a comparée à « un plat préparé pour d’autres et réchauffé pour nous. » Comme pour lui donner raison, un co-animateur du débat, spécialiste en matière de la décentralisation administrative, en a dégagé une insuffisance notoire : nulle part, cette Constitution ne fait référence à nos valeurs de civilisation. Aujourd’hui, le doute n’est plus permis à propos d’un fait : la Constitution qui nous régit est la pâle copie de la Constitution française de 1958. Tapo lui même, Ministre de la République, a affirmé la semaine dernière dans une interview que » la Constitution de 1992 à la rédaction de laquelle il a participé était du copier-coller de la Constitution française de 1958″. Et dire qu’en son temps, Me Demba Diallo a mis sur le compte de sa rédaction, qui l’aurait accaparé pendant que d’autres battaient campagne, d’où sa mauvaise performance à l’issue de la présidentielle de 1992 ! Se laisser accaparer par la reproduction d’un texte ! Décidément, l’intelligentsia malienne a encore du chemin à parcourir.
En leur temps, Modibo Kéita et Moussa Traoré faisaient confiance aux cadres de leur pays pour rédiger des textes adaptés à nos réalités. Aujourd’hui, tout se passe comme si l’activité intellectuelle s’est émoussée à tel point que nous sommes obligés de recourir à un étranger, rétribué à coups de millions pour nous fournir de la contrefaçon. L’aveu de l’avocat français Me Marcel Ceccaldi en atteste ( qui est avocat d’affaires, même pas constitutionnaliste, à 1 million d’Euro), lorsqu’il affirme sans gène, que ce projet de Constitution a été écrit pour satisfaire aux exigences de la Communauté Internationale.
Les opposants à la révision de la Constitution ont souvent cette phrase pour appuyer leurs arguments : «cette Constitution a été écrite avec le sang des martyrs.» A l’analyse, force est de reconnaitre que, dans ce cas, le sang des martyrs a été mal utilisé car il a servi à produire, non une œuvre originale capable de faire évoluer le peuple malien vers une meilleure organisation de l’Etat, mais la copie de la Constitution d’un pays dont l’évolution politique se situe à mille lieues de la nôtre.
L’argument massue de l’opposition est que le temps ne se prête pas à une révision constitutionnelle. A l’appui, elle cite l’article relatif à l’occupation du territoire national par des forces étrangères. La défense du pouvoir est mal ajustée. Elle essaie de faire accroire ce qui prête à sourire : « l’Etat exerce son autorité sur l’entièreté du territoire national », « l’insécurité est résiduelle ». Autant dire qu’il fournit lui-même les verges pour se faire flageller et l’opposition ne s’en prive pas si l’on en juge par les pancartes brandies lors du rassemblement de samedi dernier. La parade n’est pas encore trouvée. Le sera-t-elle à terme ? Soutenir que l’insécurité est résiduelle relève, non de la myopie, mais d’une mauvaise foi avérée. Les terroristes frappent en plein cœur de Bamako, en des moments de haute affluence des populations sans être vraiment inquiétés. Et l’on soutient que l’insécurité est résiduelle. N’insulte-t-on pas tous ceux, et ils sont, aujourd’hui, des milliers qui ne peuvent plus vaquer en toute quiétude, à leurs affaires, se rendre aux foires hebdomadaires, fréquenter les salles de classe ?
Le débat nous ramène à notre position constamment affirmée : au lieu de cet antagonisme qui ne fait que nous fragiliser quand des défis majeurs nous interpellent, retrouvons-nous pour « rebâtir la maison-Mali » !
LA REDACTION LE SURSAUT