dimanche 24 novembre 2024
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PR ISSA N’DIAYE SUR LES QUESTIONS BRULANTES DE L’HEURE : «Le risque de chaos est évident, mais cela n’inquiète plus les occidentaux. Bien au contraire. Et si le chaos était leur finalité?»

On dit de lui qu’il n’a pas sa langue dans sa poche. Il est connu pour son franc-parler car déclarant tout haut ce que beaucoup pensent tout bas. Il s’agit du Pr Issa N’Diaye, philosophe, homme politique, universitaire-chercheur et président de l’association malienne Forum civique. Dans cet entretien qu’il a bien voulu nous accorder, le Professeur, avec sa position tranchée, se prononce sur les questions brûlantes de l’heure comme le projet de révision constitutionnelle, la création de la Force G5 Sahel et le sempiternelle débat du Franc CFA.

InfoSept : Pour une fois, les pays du Sahel ont décidé de prendre en main leur destin sécuritaire, non sans le soutien de la France. Pensez-vous que ces pays sauront être à la hauteur de l’enjeu? Et le rôle de la France, sera-t-il aussi décisif ?
Pr Issa N’Diaye : Je ne le pense pas. Dans les faits, il ne s’agit pas d’un projet autonome des pays africains membres du G5 Sahel. Mais, c’est un projet conçu et parrainé par la France qui l’a présenté et défendu devant le Conseil de sécurité de l’ONU avec les réserves qui ont été formulées de la part des USA, notamment sur le plan financier et surtout devant la méfiance des autres pays membres, suite au détournement de la résolution sur la Lybie du temps de Kadhafi avec les conséquences qui n’en finissent pas de perturber le Sahel.
Pour asseoir le G5 Sahel, la France a torpillé le CEMOC (Comité d’Etat-major Opérationnel Conjoint) Algérie, Mali, Mauritanie et Niger. L’Algérie est un obstacle majeur à la stratégie française d’occupation et de domination de la zone sahélienne riche en matières premières stratégiques. Mais, la France n’a pas les moyens de sa politique. L’opinion publique française ne perçoit plus la menace terroriste que constituerait le Sahel, agitée auparavant pour justifier Serval et Barkhane. La mort de soldats français n’est plus aussi facilement acceptée par la même opinion publique. D’où le G5 Sahel visant à faire payer aux pays du champ de bataille, à la fois le prix financier et humain de l’insécurité généralisée provoquée par les interventions de l’OTAN en Lybie et celle de la France au Mali. La contribution française (on parle de 8 millions €) semble être convertie en équipements, notamment des véhicules déjà déployés sur le théâtre des opérations dont les coûts d’entretien ne sont pas annoncés. Cela va sans doute permettre à la France de s’en débarrasser. En plus, la France garde l’armement stratégique dans cette guerre du Sahel, les hélicoptères qui restent sous commandement français non intégré au G5 Sahel. Les objectifs restent donc définis par la France et une fois de plus, les armées africaines fourniront la chair à canon pour assurer la permanence des intérêts occidentaux au Sahel. Il est de plus en plus manifeste que le G5 Sahel échappe au contrôle effectif des États africains et reste totalement instrumentalisé par la France. Dans ces conditions, il est illusoire de penser que cette force résoudra la question de la sécurité au Sahel. C’est avant tout une question de souveraineté de nos États. Il faut sortir nos armées nationales du rôle de supplétif éternel qui leur est assigné dans des stratégies étrangères de domination contraires aux intérêts de nos pays.

InfoSept : Depuis un certain moment au Mali, le projet de révision constitutionnelle suscite des débats, parfois virulents. Quelle analyse faites-vous sur le sujet ?
Pr Issa N’Diaye : Ce projet est, avant tout, la suite logique de la camisole de force imposée au Mali par les Accords d’Alger, contraires aux intérêts du pays. Pour s’en convaincre, il suffit de constater que dans le projet actuel de révision constitutionnelle, il n’est plus fait mention dans le serment du président élu de la défense de l’indépendance du Mali et de l’intégrité de son territoire. C’est un aveu de taille qui ouvre la porte aux violations de souveraineté répétées depuis l’intervention française et le diktat des puissances extérieures pour imposer leurs visions destinées à faire prévaloir leurs intérêts au détriment du pays. D’où le risque d’affaiblissement effectif de l’Etat, voire sa partition.
A cela se greffent les calculs politiciens de notre classe politique qui veut mettre le pays en coupe réglée pour satisfaire au maximum les desiderata des puissances extérieures en se mettant à l’abri d’éventuelles poursuites judiciaires par la suppression de toutes contraintes éventuelles et la mise en place d’institutions nouvelles à la solde du pouvoir.
Cela disqualifie d’entrée de jeu ce projet de révision qui n’est nullement une priorité pour les populations. Le mener à terme dans les conditions du faible taux de participation des populations en raison du discrédit général de la classe politique et de l’insécurité touchant une partie très importante du territoire national est, à n’en pas douter, un acte de plus dans la trahison des intérêts nationaux par les Maliennes et Maliens eux-mêmes. Y aura-t-il, à l’occasion, un sursaut national pour rejeter ce complot contre le pays? La question reste posée.

InfoSept : D’aucun qualifie le referendum de test grandeur nature pour le président IBK avant la présidentielle de 2018.Le non contre la révision constitutionnelle n’est-il pas plus contre la gouvernance IBK, elle-même, que contre le projet ?
Pr Issa N’Diaye : Un test pour IBK, Je n’en suis pas certain. On sait, depuis fort longtemps, comment les élections sont finalement organisées et gagnées, notamment en Afrique par les pouvoirs en place. Il ne faut pas se faire d’illusions. Les résultats eux aussi, malgré de multiples irrégularités, finissent toujours par être adoubés par les parrains occidentaux. Les faibles taux de participation ne sont guère pris en compte. On s’en fiche absolument. L’abstention aux dernières élections en France a atteint le record historique de 56%. Cela n’empêche pas Macron de gouverner. Au Mali, on s’en fiche davantage même si l’on sait que nos responsables sont élus par moins de 10% de nos concitoyens. La légitimité importe peu. Avoir le pouvoir seul compte.
Bien sûr le taux risque fort de faire un nouveau plongeon en raison de l’impopularité grandissante de la gestion actuelle du pouvoir. Peut-être que l’on se dit, les chars français veillent. Blaise Compaoré y a cru. Mais n’oublions pas le Mali n’est pas le Burkina. La prise de conscience civique et politique des populations est en retard même si aujourd’hui la jeunesse s’active. Le risque de chaos est évident. Mais cela n’inquiète plus les occidentaux. Bien au contraire. Et si le chaos était leur finalité?

InfoSept : Autre sujet. De plus en plus sur le continent, des voix s’élèvent contre le Franc CFA. Récemment, le président Macron, tout en fustigeant l’attitude qui voudrait dire que la cause de tous les maux économiques sur le continent est dû à l’arrimage du franc CFA à l’euro, a déclaré que les africains sont libres de battre leur propre monnaie. Votre avis sur une conquête monétaire de la zone franc. Sommes-nous prêts ou pas?
Pr Issa N’Diaye : Il y a longtemps que des voix se sont élevées contre le Franc CFA en Afrique. De nombreux économistes africains l’ont dénoncé à maintes reprises. Un des derniers fut le togolais Kako Nubukpo, ministre de son État, remercié suite à des pressions françaises. La nouveauté est que la dénonciation a grimpé d’un cran jusqu’au niveau des chefs d’Etat et pas des moindres, un des piliers de la Françafrique, en la personne de Deby du Tchad. Signe des temps. La dernière humeur de Macron demandant aux dirigeants africains de sortir du CFA ou de se taire, ne dédouane pas, pour autant, la France de sa part de responsabilité quant au désastre dans nos pays. Certes, nos dirigeants sont les premiers coupables de la mauvaise gestion endémique de nos pays. Le CFA reste néanmoins un instrument de contrôle et d’étranglement de nos économies par la France. De nombreux candidats de gauche comme de droite aux dernières élections présidentielles françaises ont dénoncé la tutelle française sur le CFA. La France a des droits de veto et des avantages exorbitants dans la gestion du CFA qui n’autorisent aucun décollage économique des pays concernés. Le CFA reste un instrument anachronique de domination française en Afrique.
Des dirigeants africains ont tenté d’en sortir. Un des premiers, Sylvanus Olympio du Togo, a été assassiné. Un des derniers Laurent Gbagbo fut chassé du pouvoir par l’armée française. Nos dirigeants connaissent les lignes rouges tacites à ne pas franchir. Ils savent qu’ils sont plus redevables de leur pouvoir à la France qu’à leur peuple. Le reste relève de la démagogie et de la posture politicienne aussi bien de la part de nos dirigeants que de Macron. Il reste illusoire de prétendre à un développement quelconque sans souveraineté monétaire. L’éveil des consciences africaines a commencé.
Propos recueillis par
Dieudonné Tembely

Djibril Coulibaly

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