Depuis peu, le ton se durcit entre partisans du OUI et du NON à la réforme constitutionnelle. Le discours est de plus en plus guerrier pour ne pas dire menaçant. Le risque d’un affrontement n’est plus à écarter. Il urge, dès lors, pour les autorités compétentes de prendre le devant en calmant les ardeurs.
«Mieux vaut prévenir que guérir», nous a toujours et sous tous les cieux enseigné l’adage. C’est le temps pour les autorités nationales d’utiliser à bon escient cette maxime. Car, il y va de la stabilité du front social malien. On se souvient que le vote par l’Assemblée Nationale de la loi portant révision de la constitution, le 2 juin dernier, à 111 voix contre 35, a été suivi d’une levée de bouclier de la part d’une frange importante de la population. Les manifestations de rue appelant à voter NON contre la réforme puis à demander son retrait purement et simplement se sont multipliées. Celle du 17 juin qui a regroupé plusieurs centaines de milliers de personnes dans les rues de Bamako dont des acteurs de la société civile, des partis politiques, des leaders d’opinions et religieux a marqué les esprits. Juste, après cette marche, le Président de la République avait rencontré l’ensemble des Présidents des institutions alors même que la Cour constitutionnelle avait donné son aval pour l’organisation du référendum qui était prévu, selon le calendrier électoral, le 9 juillet. La suite est connue. Le 21 juin, en Conseil des Ministres, sur demande « du Ministère de la Réforme de l’Etat », il a été autorisé le report du référendum à une date ultérieure. Loin de faire baisser la tension, les anti-révisions sont encore montés au créneau, le 1er juillet dernier, à travers un meeting interdit par les autorités du District de Bamako, pour exiger le retrait pur et simple de cette reforme. Les arguments avancés sont les mêmes que celles d’avant : «violation de l’article 118 de la constitution du 25 février 1992, le contexte sécuritaire non propice du pays, la monarchisation de la fonction présidentielle, etc. A ces arguments, les contre-arguments étaient toujours que le Mali ayant signé l’Accord de paix, issu du processus d’Alger, devait nécessairement réviser la Constitution pour appliquer certaines dispositions, que la Constitution de 1992 ayant montré ses limites devait être révisée ; que le Mali n’étant pas occupé par une force étrangère, l’article 118 ne serait pas violé, etc. Donc, c’est devenu un dialogue des sourds.
Palier supérieur
Jusque là, les uns et les autres, pour défendre leurs positions, étaient dans le registre des arguments, du combat d’idées. Mais cette étape est en passe d’être allègrement franchie pour évoluer vers une autre plus dangereuse qui est l’usage de la force. On se souvient que notre confrère, Oumar Seydou Traoré de la Radio Jekafo, avait prêté aux membres de la plateforme « Antè, An bana, Touche pas à ma Constitution» le désir de se munir de «machettes» pour faire barrage à cette révision constitutionnelle en vue. S’il avait été vivement apostrophé par les membres de la plateforme, il faut, cependant, dire que le simple fait que de tels propos (qui ont été d’ailleurs prononcés par une personne dans la foule lors du meeting préparatoire de la marche du 17 juin) se retrouve dans l’espace public est grave pour ne pas dire gravissime. Cela démontre dans quel état sont les esprits et jusqu’où certaines personnes sont prêtes à aller pour faire valoir leurs positions.
S’il y a un autre facteur qui a, ces dernières 72 heures, corsé les débats, serait que cette nouvelle constitution autoriserait «le mariage homosexuel». La référence à la charte africaine des droits de l’Homme qui protège les «homosexuels» est brandit comme arguments par ceux là qui soutiennent cette thèse dont la tête de proue est le tonitruant animateur de radio Rast Bath. Des pays du Maghreb qui n’autorisent pas le mariage homosexuel sont aussi signataires de cette charte lui rétorque le camp d’en face. Mais sauf que cette dernière question pour toute la passion qui l’entoure fait monter les joutes verbales d’un cran pour ne pas dire qu’elle plonge le débat d’idées dans les profondeurs des caniveaux. Les propos en la matière volent très bas. Ils sont indécents et souvent excusez du terme «orduriers».
Vers une guerre civile ?
La dernière sortie de Me Boubacar Karamoko Coulibaly de l’Union pour la République et la Démocratie (URD) sur sa page facebook laisse songeur.
Selon lui, le régime, par ses actes, est en train de créer les conditions d’une confrontation inévitable entre le camp du NON et «celui de ses affidés» à travers l’ensemble du pays. Ce qui fait froid dans le dos c’est quand il dit «…comme nul n’a le monopole de la violence, nous informons l’opinion nationale et internationale que nous prenons, d’ailleurs, à témoin de toutes les agressions que nous avons jusqu’ici subi, que, désormais, nous ne laisserons plus faire… ». Plus loin, il écrit: «Il est à constater que, pour une révision constitutionnelle inopportune, illégitime et illégale, le Président Ibrahim Boubacar Kéïta et son régime ont désormais créée les conditions de la guerre civile entre les Maliens… », le mot est lâché: «Guerre civile». Ce serait, selon lui, c’est vers quoi se dirige le Peuple malien du fait de cette révision. Ici, la lettre ouverte de l’ancienne Première Dame, Adam Bâ Konaré, adressée au Président de la République lui demandant de «dégonflez les biceps » prend tout sons sens. Elle qui ne parle que très rarement, ne parle jamais pour ne rien dire. Et, à l’aune de ce qui s’écrit sur les réseaux sociaux, de ce qui se dit dans les grins et dans les états majors politiques et salons feutrés de Bamako, il y a lieu de «dégonflez les biceps» ; car, mieux vaut prévenir que guérir.
Mohamed Dagnoko : LE COMBAT