D’aucuns auraient voulu que l’on en parlât même pas, tant cette date, pour eux, est synonyme de recul, de plongée de notre pays dans l’obscurantisme. Il ne s’agit nullement, ici, de porter un jugement de valeur sur un événement qui continue de susciter des passions, mais de dire ce qui s’est passé ce jour et les circonstances qui ont conduit à en faire une date historique.
Le 26 juin 1956, Lavrenti Pavlovitch Beria, est exécuté par ses collègues du Politburo du Parti communiste de l’Union Soviétique. Il est incinéré, ses cendres dispersées dans la forêt. L’Histoire du Parti Communiste de l’Union Soviétique est, pour la circonstance, revue et remaniée : le nom de Beria en disparaît, remplacé par un article sur la mer de Behring.
Auparavant, à la suite d’une consultation électorale, Adolf Hitler accède au pouvoir le 30 janvier 1930. Une réalité le trouble. L’un des poètes les plus célèbres de la littérature allemande a, pour nom, Heinrich Heine, auteur des non moins célèbres Poèmes de la Lorelei. Le trouble d’Hitler s’explique par le fait qu’Heine est juif. Or, plus antisémite qu’Hitler, tu meurs. Il trouve un remède à son mal : se prévalant des pouvoirs qui sont les siens, il somme éditeurs de manuels scolaires et professeurs de littérature allemands à présenter les Poèmes de la Lorelei comme l’œuvre d’un poète inconnu.
Le traitement infligé à Beria et à Heine est-il la meilleure manière de s’intéresser à l’histoire pour édifier les générations futures à se constituer des repères ? Chacun appréciera à sa manière. Revenons au mardi 19 novembre dont personne ne parle plus.
D’abord, le film des événements. Tout s’est produit en l’espace de quelque vingt-quatre heures.
Le lundi à 18 heures, les conjurés, triés sur le volet, sont convoqués un à un à Kati, résidence du lieutenant Moussa Traoré, par ce dernier. A chaque arrivant, la même phrase, d’une concision frisant le laconisme : « C’est ce soir. Va te préparer ! »
A 00 heure, le mardi, le clairon sonne le rassemblement dans la garnison de Kati sur ordre du lieutenant Moussa Traoré : la troupe est informée de la décision de renverser le pouvoir. Elle exulte, reçoit l’ordre de quadriller Bamako et de se positionner aux différents points stratégiques de la capitale.
A deux heures du matin, les centraux téléphoniques de Kati et de Bamako sont mis hors d’usage par les lieutenants Kissima Doukara et Youssouf Traoré, toujours sur ordre du lieutenant Moussa Traoré. A quatre heures, avec un retard de deux heures sur l’horaire prévu, commence l’arrestation de certains dignitaires du régime e l’US-RDA avec les lieutenants Filifing Sissoko et Tiékoro Bagayogo aidés de certains sous-officiers dont l’adjudant-chef Soungalo Samaké. Avant le lever du soleil, cette tâche est exécutée.
A Koulikoro où Modibo Keïta doit accoster ce mardi 19 novembre après la conférence économique de la région de Mopti, le Général Abdoulaye Soumaré est en avance sur l’horaire prévu. Le cérémonial d’accueil est écourté. Un milicien venu de Bamako tente d’y cantonner la délégation présidentielle en vue d’une résistance à mener. Il abaisse la barrière de pluie de Kolébougou pour empêcher le passage du cortège. Modibo Keïta soulève la barrière et ordonne de poursuivre sur Bamako.
Avant dix heures, le président du Conseil de gouvernement, secrétaire général du Parti est arrêté à Kayo, village situé à une quinzaine de kilomètres de Bamako. A onze heures, le bref entretien qu’il eut avec son tombeur prend fin. A cette même heure, le coup d’Etat, que Jeune Afrique qualifiera de « coup de Bamako » est consommé. En l’espace d’une matinée, le puissant édifice mis sur pied par Mamadou Konaté et Modibo Keïta, avec l’assistance plus qu’efficace de leurs compagnons de route, s’effondre comme château de cartes.
Nul, dans un premier temps, n’ose y croire et, les premiers surpris par le succès de l’entreprise ne sont autres que ses auteurs : ils ne s’attendaient nullement à l’enthousiasme qui accueillit l’événement, une fois qu’il fut porté à la connaissance du public par la voix des ondes.
Quatorze officiers subalternes, quatre capitaines et dix lieutenants se constituaient en Comité Militaire de Libération Nationale (CMLN) sous la direction de Moussa Traoré. Une page de l’histoire du Mali venait d’être tournée. Il y a eu des tentatives de résistance, à Ségou, à Bamako, à Kayes, à Koro ; des tentatives sans chance de succès, vite circonscrites par l’armée et la gendarmerie. Comment cela a-t-il pu se produire ? Certains y ont vu la main de la France par l’intermédiaire de Houphouët-Boigny. Un journaliste de la place, sous le titre « Moussa Traoré bientôt à la barre », soutient que ce dernier a été mis en mission par Houphouët-Boigny. L’assertion ne résiste pas à l’analyse comme cela sera démontré dans notre prochaine parution.
A suivre
La Rédaction LE SURSAUT | lecombat.fr
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