Malgré ses conséquences sanitaires, sociales et économiques dramatiques, le Covid-19 a fait du bien à certains foyers. En effet, des mesures comme le couvre-feu contraignent des noctambules invétérés à rester à la maison, à avoir enfin une vie de famille. Et cela au grand bonheur de leurs enfants et surtout de leurs… épouses ! Notre apprenti écrivain a pris sa plume pour nous narrer ce bonheur souvent relatif. Nous vous livrons ici la première partie de sa Nouvelle.
A quelque chose malheur est bon ! C’est ce que dit en tout cas l’adage. Personne ne peut souhaiter le cataclysme qui se produit actuellement dans le monde depuis novembre 2019 : la pandémie du Coronavirus ou COVID-19 !
Elle fait trembler le monde, mais elle m’a permis enfin d’avoir un mari à la maison. Mes enfants ont maintenant un père à la maison. Même s’il sert juste à meubler notre demeure. Même si j’avoue qu’un meuble neuf aurait visiblement attiré bien plus les regards que lui.
Mon cher Djimé était si absent à la maison que beaucoup de gens se demandaient comment il faisait pour m’engrosser. Des grossesses qui ne sont pas moins circonstancielles que sa présence au foyer car elles résultent de la satisfaction d’une libido passagère, le plus souvent matinale.
D’ailleurs, avec trois enfants en 15 ans de mariage, il faut reconnaître que le ratio est très faible par rapport à la moyenne généralement admise dans notre société.
Dans le confinement, mon Bébé invisible est devenu comme un lion en cage qui n’est pas prêt à se laisser apprivoiser.
Son malheur a commencé avec les premières mesures préventives, notamment la fermeture des bars, restaurants, discothèques et autres espaces de loisirs. Une mauvaise nouvelle pour un noctambule indécrottable qui prolongeait ses journées de travail jusqu’à tard dans la soirée. S’il rentre tôt, c’est à minuit ! Sinon il ne regagne son foyer qu’entre 01h et 02h du matin.
Heureusement pour lui, il exerçait une profession libérale et il était son propre patron. Il pouvait donc se permettre la grasse matinée. Sauf urgence absolue, il partait au bureau rarement avant 10h. Le Bureau ? Je dirais plutôt sa demeure principale où il avait bien plus d’objets personnels qu’à la maison, notamment des habits, des chaussures… C’est là-bas que ses commandes étaient livrées. Les habits n’atterrissaient à la maison que pour aller au pressing.
Comme il me l’a confié une fois, il reste au bureau jusqu’à 19h-20h, en fonction de l’heure de prière du maghrib (prière du crépuscule). Il retrouve ensuite ses « amis » dans un bar très réputé car portant le nom d’une institution financière de Bretton Woods. Mais, depuis quelques années, ils ont jeté leur dévolu sur l’un des nombreux Lounges de l’ACI 2000.
Ainsi, à l’exception des jours de fêtes, des jours fériés, ses enfants ne le voyaient que les dimanches, la matinée surtout. Sinon, même malade, il prétextait une urgence au bureau pour sortir et rentrer tardivement. Avant un certain âge, nos enfants le regardaient toujours comme un étranger qui va et vient séjourner dans la famille.
Avec la fermeture des espaces de loisirs, leur Papounet et ses amis avaient sans doute trouvé la solution en reconstituant un Grin je ne sais où. Mais, le couvre-feu est venu leur compliquer la tâche.
Comme un agneau parmi les loups, c’est comme si, mon époux a peur de rester en famille, de se retrouver dans ce cadre familial devenu un cadre hostile, un terrain ennemi pour lui.
Il a tout fait pour contourner le couvre-feu. Il était ainsi parvenu à se procurer un Laissez-passer par le truchement d’un de ses amis journalistes un Directeur de publication qui est aussi un rat des bars comme lui. Mais, tout le monde n’avait pas cette chance. Où aller avec ce soft-conduit ?
Le « piège » s’est donc refermé sur lui. Une fois à la maison après 21h, il ne savait plus que faire du reste de la soirée. Au début, il feuilletait les magazines, zappait sur les chaînes télé ou restait accroché à son téléphone avec ses amis pour se raconter sans doute leur infortune. A la différence de beaucoup d’entre eux, il ne pouvait pas boire à la maison devant nos enfants.
Sur ce point, j’ai été très clair : tes bêtises, tu les fais ailleurs, jamais à maison. Le jour où il te viendra à l’esprit d’introduire ne serait-ce qu’une goutte d’alcool ici, dis-toi que tu n’auras plus de famille car je m’en irai avec les enfants !
Une menace que Djimé a pris au sérieux parce qu’il savait que je parlais peu, mais que j’étais « capable de beaucoup de choses ».
Et finalement, il nous faisait pitié. Avec les enfants, les neveux et nièces ainsi que la bonne, on s’ennuyait peu. Après le dîner, nous nous retrouvions sur la terrasse pour prendre du thé, nous adonner à des jeux de sociétés, écouter de la musique, se raconter des contes et devinettes… improviser des concours de chants voire cuisiner des plats. Ce qui réveillait bien sûr en moi les souvenirs de nos jeux au clair de lune pendant l’enfance et l’adolescence au village.
Nos soirées de confinement étaient émaillées de blagues et d’éclats de rire. Pauvre Djimé, il devait se sentir si mal à côté d’un tel bonheur familial. Sa mélancolie ne nous empêchait pas d’être heureux.
-Maman, qu’est-ce que Papa a, me demanda une fois Zeinab, notre benjamine
-Pourquoi cette question Mamy, lui répliquais-je
-Je vois qu’il rentre tôt maintenant, il tourne en rond dans le salon, il ne nous approche pas et ne parle presque à personne. Pourquoi ?
-Et pourquoi tu ne lui poses pas la question ?
-Maman, quand on lui parle, j’ai l’impression qu’il n’écoute même pas parce qu’il est toujours dans les nuages et indifférent à son environnement…
-En tout cas, à ce que je sache, il n’est pas malade. Je pense plutôt qu’il se fait du souci pour ses affaires. Rentrer tôt n’arrange pas trop son business. Prions alors que le couvre-feu ne se prolonge pas pour délivrer Papa…
Suite dans le prochain numéro
BOLMOUSS