Les incessants questionnements sur l’Etat de Droit au Mali sous IBK ne font que convaincre chaque jour de la vanité de prétendre à une justice constitutionnelle indépendante et crédible dans un contexte politique d’incompétence notoire du Régime en place et un contexte judiciaire de soumission de la Cour Constitutionnelle aux caprices du Président de la République.
Que peut-on attendre encore, en termes de respect de la Constitution, d’une Cour infantilisée, peu courageuse, tenue par un Régime en dépravation de la gouvernance et en dysfonctionnement constitutionnel permanent ? Le scandale inqualifiable de la prorogation du mandat des Députés nous en administre la preuve par sa dernière manifestation en date du 28 juin 2019, à travers l’Arrêt n°2019-03/CC. Un Arrêt juridiquement cagneux déclarant conforme à la Constitution la soi-disant loi n°2019-23/AN-RM du 27 juin 2019 portant loi organique relative à la prorogation du mandat des Députés. Encore une fois, la Démocratie malienne est prise en otage par une pauvre Cour à la jurisprudence lamentable.
L’Arrêt n°2019-03/CC du 28 juin 2019 reste pour l’essentiel dans la lignée peu glorieuse de la trajectoire anti constitutionnelle de l’Avis n°2018-02/CCM du 12 octobre 2018 à l’origine de la première prorogation de mandat de 6 mois. Il était, par conséquent, impensable d’attendre de cet Arrêt qu’il dévie de cette déviance. Pour la même raison, l’Arrêt n°2019-03/CC du 28 juin 2019 demeure coincé dans de l’imposture juridique.
La loi n°2019-23/AN-RM du 27 juin 2019 n’est pas une loi organique.
De quelle loi organique parle-t-on ? Certes, la Constitution dispose, en son Article 86, que la Cour Constitutionnelle statue sur la constitutionnalité des lois organiques avant leur promulgation. Encore faudrait-il s’assurer que le texte juridique, objet d’un tel contrôle, réponde constitutionnellement aux critères de cette catégorie particulière de loi qui constituent les lois organiques. Autrement dit, en ce qui concerne les lois organiques, l’Article 86 ne peut aucunement être invoqué en l’absence de qualification constitutionnelle avérée de cette catégorie de loi. Il se trouve effectivement que c’est la Constitution elle-même qui nous dit ce qu’est une loi organique. Il suffit à cet égard de se référer à son Article 70 où elle dispose clairement qu’il s’agit de «Lois auxquelles la présente Constitution confère le caractère de loi organique». En d’autres termes, ne peut être une loi organique que les seules lois considérées comme telles par la Constitution elle-même. La Cour n’a pas de pouvoir créateur ou inventeur de toutes pièces d’une loi organique comme elle vient de le faire au mépris de la Constitution en proposant la forme organique à la loi anticonstitutionnelle de prorogation de mandat des députés. Comme on peut le constater, la Constitution est tellement explicite ici que même la Cour qui la méprise tant n’a pu, toute honte bue, s’empêcher de passer aux aveux en ces termes : «Considérant que la Constitution, en son Article 70, dispose : «La loi est votée par l’Assemblée Nationale à la majorité simple. Cependant, les lois auxquelles la présente Constitution confère le caractère de loi organique sont votées dans les conditions suivantes … ».
Du coup, la question se pose de savoir quelle serait alors le fondement constitutionnel de la loi n°2019-23/AN-RM du 27 juin 2019 prétendument qualifiée de «loi organique relative à la prorogation de mandat des députés». De manière grossière, la Cour, après avoir rappelé que c’est la Constitution seule qui confère le caractère organique à une loi, répond quand même: «Considérant qu’il apparaît que la loi soumise au contrôle de constitutionnalité est une loi organique…». La Cour Constitutionnelle trébuche ici et glisse dans les abîmes de l’amateurisme juridique primaire, voire dans la sorcellerie juridique mystificatrice.
En fait, la vraie réponse à la question posée est que la soi-disant loi n°2019-23/AN-RM du 27 juin 2019 n’est point une loi organique. Elle n’est même pas une loi; car, n’intervenant non plus dans aucun des domaines de la loi fixés à l’Article 70 de la Constitution.
En proposant de draper ainsi la forfaiture de la prorogation des mandats du manteau surdimensionné d’une loi organique, la Cour Constitutionnelle est coupable d’un double outrage à la Constitution du Mali: celui d’ouvrir la brèche d’une prorogation anticonstitutionnelle des mandats nationaux et celui de faire endosser cette scandaleuse dérive juridique par une loi organique constitutionnellement inexistante sortie comme par magie de la boîte de sa fantaisie jurisprudentielle. La Cour Constitutionnelle ne tient d’aucun texte de la République, même à titre consultatif, la compétence de décréter la nature organique d’une législation.
La loi n°2019-23/AN-RM du 27 juin 2019 dont l’Arrêt n°2019-03/CC du 28 juin 2019 vient de déclarer la constitutionnalité est tout simplement l’expression normative d’une attitude extravagante de mépris de la Constitution du 25 février 1992 de la part de la Cour Constitutionnelle.
La déclaration de constitutionnalité dépourvue d’argumentaires
Comme d’habitude, ce genre d’impostures juridiques ne peut se construire sur un argumentaire pertinent et cohérent dans lequel ses inventeurs se sentiraient en confiance. L’Arrêt n°2019-03/CC du 28 juin 2019 se ressent de ce terrible « mal de mer » jurisprudentiel. Ainsi, de façon manifeste, l’essentiel semble avoir été, pour la Cour, de donner un semblant d’habillage juridique de pacotille à la violation de la Constitution. C’est ainsi que, par exemple (fait rare en la matière) la loi adoptée dans la précipitation, le jeudi 27 juin 2019, est aussitôt transmise, le lendemain 28 juin 2019, à la Cour qui, le même jour, a pondu le scandaleux Arrêt de constitutionnalité, un peu comme un préfabriqué vieillot retouché à la dernière minute.
Par ailleurs, la Cour ne pouvant développer d’argumentaires susceptibles de soutenir sérieusement une cause constitutionnellement perdue d’avance, elle n’a eu d’autre choix que de se défouler uniquement et inutilement sur des considérations futiles de forme comme l’observation du délai de 15 jours entre le dépôt du texte et son vote et l’adoption du texte à la majorité absolue des membres composant l’Assemblée Nationale. De la pure divagation juridique qui ne vise qu’à divertir l’opinion nationale pour lui faire avaler que «la loi n°2019-23/AN-RM du 27 juin 2019, prorogeant la Ve législature de l’Assemblée Nationale jusqu’au 2 mai 2020 est conforme à la Constitution». Comme souligné plus haut, la loi n°2019-23/AN-RM du 27 juin 2019 n’est point une loi organique. Ce n’est même pas une loi; car, n’intervenant aucunement dans les matières législatives énumérées à l’Article 70 de la Constitution en vigueur.
Le spectre du mandat présidentiel rendu prorogeable en 2023
Quel fâcheux et très dangereux précédent que cette imposture juridique inqualifiable de la Cour Constitutionnelle !
La Cour Constitutionnelle à l’origine de cette dérive se devra de répondre devant l’Histoire des conséquences politiques pouvant en découler. Car, il est à peu près certain que cette fâcheuse épisode de prorogation inconstitutionnelle du mandat des Députés qui habilite de facto le Juge constitutionnel à se substituer aux Constituant à travers le tripatouillage prétorien de la Constitution, ne restera pas sans lendemain qui risque de déchanter ceux-là même qui y souscrivent aujourd’hui. Une fois qu’on a admis que la Cour Constitutionnelle peut toujours jouer comme un enfant avec la Constitution sous le fallacieux prétexte de son pouvoir de régulation du fonctionnement des Institutions de la République et de l’activité des pouvoirs publics, c’est la porte ouverte à toutes les dérives institutionnelles imaginables.
Il est clair aujourd’hui que les errements jurisprudentiels de la Cour qui semble enivrée par l’Article 85 de la Constitution mal assimilé de sa part, ont largement contribué à la négation de la suprématie constitutionnelle au Mali.
Il y a fort à craindre désormais que la bourrasque de la spirale infernale des prorogations anticonstitutionnelles grotesques ne finisse par terrasser l’édifice institutionnel de la Constitution du 25 février 1992. Ce scénario-catastrophe ne peut malheureusement plus être écarté. D’ores et déjà, comme on l’a vu avec cette seconde prorogation, il n’existe plus aucune garantie par rapport à une troisième prorogation au-delà du 2 mai 2023, puis une énième prorogation, pour, enfin, aboutir à un ajournement sine die des législatives. Il est clair que le spectre de la stature institutionnelle bancale de 2012 écartelée entre la Constitution et l’Accord-cadre est bien présent. Qui pourrait encore lever le petit doigt si, demain, c’est-à-dire en 2023, le Président IBK invoquant « des difficultés sérieuses consécutives à une situation exceptionnelle qui compromettent le respect des dispositions de l’Article 32 de la Constitution », sollicitait la prorogation de son propre mandat ? Personne ne pourrait l’en empêcher, étant donné les récentes jurisprudences de la Cour Constitutionnelle relatives au mandat périmé des Députés sont là.
A moins d’être assez naïf pour ne pas le comprendre, il est évident, conformément à la jurisprudence des Députés, que la Cour Constitutionnelle ne pourrait que répondre favorablement à une éventuelle demande de prorogation du mandat présidentiel sur le fondement du «caractère de force majeure des difficultés entravant le respect scrupuleux des dispositions constitutionnelles et légales…. et la nécessité d’assurer le fonctionnement régulier de la Présidence de la République». Et le tour sera joué. Et dire qu’il ne s’agit plus d’une vague hypothèse d’école !
Dr Brahima FOMBA
Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako (USJP)