La soumission à l’Assemblée Nationale par le Gouvernement d’un projet de loi dite «d’Entente nationale», issue de la conférence d’entente nationale du 27 mars au 2 avril 2017 sème des polémiques au sein de l’opinion nationale alors que son adoption est prévue pour le 13 décembre prochain. Une loi qui reste une «une menace pour la paix, la réconciliation et les droits des victimes au Mali», dénonce-t-on du côté de près d’une cinquantaine d’organisations de la défense et de la protection des Droits de l’Homme.
Le retrait pur et simple du projet de la Loi d’Entente nationale, c’est du moins ce qu’attendent les 47 organisations signataires de ce communiqué dont notre Rédaction est en possession d’une copie. Ils l’ont fait savoir, le vendredi 9 novembre dernier, à la faveur d’une concertation générale sur ledit dossier. Loin d’être une force contre tout projet d’entente nationale, les contestataires se disent opposés au contenu de ladite Loi.
Lisez l’intégralité de leur communiqué ci-dessous:
La soumission à l’Assemblée Nationale par le Gouvernement du Mali, d’un projet de Loi dite «d’entente nationale » et les débats pour son adoption sont prévus pour le 13 décembre 2018 : «Nos organisations informent qu’elles ne sont pas contre une Loi d’entente, mais précisent qu’elles s’opposent à ce projet de loi d’entente nationale en l’état. Ce projet de loi prévoit l’exonération des poursuites pénales contre les personnes ayant commis de crimes et délits punis par le Code pénal et les conventions internationales ratifiées par le Mali.
Bien que les crimes de guerre, les crimes contre l’Humanité et le viol soient exclus de son champ d’application, le projet de loi contient des mécanismes inadéquats pour garantir que les personnes responsables de ces crimes et d’autres graves violations des Droits de l’Homme et du Droit international humanitaire perpétrées pendant la crise de 2012 ne soient pas exonérées de poursuites pénales. Bien que le projet de loi prévoie des mesures d’apaisement social, d’indemnisation pour les victimes de ces crimes, ainsi que des mesures de réinsertion destinées aux ex-combattants, aux Réfugiés et aux Déplacés internes, ces mesures sont insuffisantes et entrent en contradiction avec le mandat de la Commission Vérité, Justice et Réconciliation et le travail de la commission d’enquête internationale, prévu à l’Article 46 de l’Accord pour la paix et la réconciliation. Nos organisations regrettent que le Gouvernement ait élaboré et soumis le projet à l’Assemblée Nationale, le 10 août 2018, sans consulter en amont les victimes, ce qui va à l’encontre de la pratique établie aujourd’hui en justice transitionnelle.
Il est, en effet, largement reconnu que la pleine implication des victimes dans la création de normes et mécanismes censés apporter des réponses à leurs souffrances est incontournable pour en assoir la légitimité. Il est à craindre que loin d’assurer les faits en relation avec les crimes commis ne soient éclaircis, la Loi ne vient dans les faits que pour fermer définitivement la porte à toute revendication de justice, aux dépens des droits des victimes à la vérité et à la justice.
Nos organisations avaient préalablement réaffirmé et avaient continué à apporter leur soutien au processus de paix et de réconciliation au Mali. Toutefois, en raison de ses nombreuses et importantes faiblesses, la mise en œuvre d’une telle loi risquerait de conduire, dans les faits, à l’amnistie de nombreux auteurs de crimes considérés parmi les plus graves, y compris les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, et ne permet pas d’assurer pleinement le respect des droits des victimes, en violation flagrante de l’Article 46 de l’Accord pour la paix et des obligations internationales du Mali découlant du droit international des Droits de l’Homme et du Droit international humanitaire. Nos organisations avaient alerté les autorités sur les risques d’un texte d’amnistie favorisant l’impunité, et qui, de la même façon, prônent le déni total des Droits des victimes de la crise malienne. Malgré nos demandes, nous n’avons, à ce jour, pas été reçus par le Président ou le Premier Ministre.
Aujourd’hui, nos organisations exigent le retrait dudit projet et exhortent le Gouvernement malien à engager des consultations avec les parties prenantes, en particulier les organisations des victimes et les organisations de défense des Droits humains. Selon nos organisations, il est impératif que ce texte ne soit pas adopté, parce qu’il représente une grave menace à l’État de Droit et aux Droits des victimes, et risque de mettre à mal les efforts déployés afin d’atteindre une véritable réconciliation au Mali.
En effet, nos organisations réitèrent leurs demandes:
-Le retrait du projet de loi dit «d’entente nationale» par le Gouvernement tel que rédigé actuellement ;
– L’implication, la consultation et la prise en compte des préoccupations des associations de victimes et des organisations de défense de Droits humains par le Gouvernement, préalablement à l’élaboration d’un nouveau projet de loi d’entente nationale, respectueux des droits des victimes du conflit au Mali ;
-L’engagement d’un dialogue direct entre l’Assemblée Nationale et les associations de victimes et organisations de défense de droits humains sur le projet de loi d’entente nationale issu de ces consultations afin qu’elles puissent exprimer leurs préoccupations et craintes, au sujet du projet de loi tel que rédigé actuellement ;
-Des engagements concrets des autorités maliennes en faveur de la lutte contre l’impunité en particulier, en garantissant l’effectivité des poursuites et enquêtes relatives aux crimes les plus graves. Enfin, nos organisations informent l’opinion nationale et internationale qu’elles entendent restées mobilisées jusqu’au retrait dudit projet de Loi par le Gouvernement ».
Liste des 47 organisations signataires
- Action Citoyenne pour la Promotion des Droits Humains-ACPDH
- AFLED
- Aide au Développement Durable de Kidal-ONG ADD
- Alliance pour refonder la Gouvernance en Afrique-ARGA Mali
- Association des femmes africaines pour la recherche et le développement (AFARD-Mali)
- Association pour le Progrès et la Défense des Droits des Femmes-APDF
- Amnesty International-AI Mali
- Association DEME-SO
- Association des Juristes Maliennes-AJM
- Association Malienne des Droits de l’Homme-AMDH
- Association pour le Développement des Initiatives Locales ADIL Mali
- Association pour le Développement, Recherche Action ADERA
- Association pour le Développement de Tangassane ADT Tombouctou
- Association pour la protection des Albinos-AMPA
- Association des Femmes Entreprenantes du Mali-AFEM
- Avocats Sans Frontières-ASFMali
- Conseil National des Associations de Victimes-CNAV
- Consortium Actions Droits Humains-CADH
- Centre d’Assistance et de Promotion de Droits Humains-CAPDH
- Centre pour le Dialogue Humanitaire-HD
- Coalition Malienne des Droits de l’Enfant-COMADE
- Coalition Malienne des Défenseurs des Droits Humains -COMADDH
- Coalition Malienne pour la Cour Pénale Internationale-CM-CPI
- Collectif CRI DE CŒUR
- Collectif des Femmes du Mali-COFEM
- Conseil National des Victimes-CNV
- Coordination des Associations et ONG féminines du Mali
- Coordination Nationale des Associations de Victimes -CNAV
- ENDA Mali
- Femmes et Droits Humains- F&DH
- Fédération Internationale des ligues des droits de l’Homme-FIDH
- Fédération Nationale des Collectifs d’Organisations Féminines du Mali- FENACOF
- Groupe Pivot Droit et Citoyenneté́ des Femmes-GP/DCF
- Ligue Pour la Justice, le Développement et les Droits de l’Homme-LJDH
- Association Malienne pour le Droit international-MIDA
- Observatoire des Droits Humains et de la Paix-ODHP
- Observatoire des Droits de la Femme et de l’Enfant-ODEF
- ONG Développement Holistique Africa-DHA
- ONG pour le Développement Educatif Sanitaire et la Protection de l’environnement dans le Sahel-ADESPED
- Plate-forme DESC
- Réseau des Défenseurs des Droits Humains-RDDH
- Réseau National pour l’Eveil Démocratique et Patriotique-RENEDEP
- Réseau des Journalistes Pour la Promotion des Droits de l’Homme-RJPRODH
- TEMEDT
- Tribune Jeunes pour le Droit au Mali – TRIJEUD-MALI
- WANEP-Mali
- Women in Law and Development In Africa-WILDAF Mali.
Seydou Konaté