Ces deux dernières années, les services des Douanes du Mali réalisent des recettes qui ne manquent pas d’aiguiser l’appétit des autorités. De 523 milliards de recettes comme objectif en 2017, les services des Douanes devront pour cette année 2018 passer à 600 milliards de francs CFA. Un chiffre qui risque d’être difficile à atteindre à cause des grèves à répétition de certains commerçants qui estiment que la hausse des recettes douanières se fait à leur détriment par le biais d’une augmentation unilatérale.
En cette matinée du 3 mai, le grand marché de Bamako, d’habitude grouillant de monde, ressemble à un cimetière. Un calme plat y règne. Bon nombre de boutiques sont fermées. Les rares personnes qu’on croise sont de simples passants. Ils sont heureux de pouvoir circuler en toute fluidité. Une joie qui contraste avec la mauvaise mine de ces personnes venues faire des achats et qui sont obligées de rentrer bredouilles. La raison : les revendeurs au détail regroupés au sein du collectif et groupement des commerçants détaillants du Mali observe une grève de deux jours. Durant 48 heures, le commerce était paralysé. Et, pour cause, les commerçants détaillants à l’origine de la grève pointent un doigt accusateur vers les autorités publiques et les services des Douanes qu’ils accusent, entre autres, d’ «augmentation unilatérale» des frais de dédouanement.
Trois mois plus tard, rencontrés dans son Bureau, sis à l’immeuble Bally, au cœur du grand marché de Bamako, Ibrahim Maïga, Président du collectif, n’en décolère pas. «En passant de 523 milliards à 600 milliards de recettes douanières cette année, cela a entrainé une augmentation incontrôlée des frais de dédouanement. Les containers que nous dédouanions à 6 millions en 2017 nous reviennent cette année à 8 millions de francs CFA cette année sans qu’on nous explique le fondement de cette augmentation». Il poursuit, même le 5 août dernier, on a constaté une légère augmentation des frais.
Des taux mystères
Si les commerçants affirment que les frais de dédouanement n’ont jamais cessé de grimper, depuis deux ans, ils se plaignent aussi d’ignorer tout des taux imposés par produit. «Je suis Président des commerçants détaillants. Nous avons beaucoup de personnes impliquées dans les importations, mais nous ignorons tout des taux imposés, par exemple, sur les tissus, les pneus, etc. Ces chiffres sont gardés au secret par les Douaniers et les transitaires qui en profitent pour se faire de l’argent », accuse Ibrahim Maïga.
Baba Traoré, Président de la fédération des transitaires du Mali, joint par téléphone, réfute vigoureusement ces accusations. « Aujourd’hui, on ne peut pas dire qu’il y a augmentation des frais de dédouanement unilatérale. Tout se fait dans la transparence et avec les commerçants. Tous les pays membres de la CEDEAO partagent le même tarif. C’est sur la base de ce document unique que se fait l’ensemble des dédouanements. Ce n’est pas possible que le Mali fasse abstraction». Si le Président de la fédération des transitaires, Baba Traoré, accepte de lâcher quelques mots au bout du fil, il se refuse à toute interview sur un sujet, selon lui, « sensible » avant de n’avoir effectué la tournée prévue dans les autres pays pour s’enquérir de la mise en œuvre de la mesure de dédouanement.
En attendant que cette tournée révèle l’état des lieux dans les autres pays, les commerçants détaillants, eux, ont déjà leurs chiffres comparatifs. «Nous sommes en contact avec les commerçants du Burkina et d’autres pays limitrophes aussi. Au Mali, le container qu’on dédouane à 14 millions de FCFA, le même container est dédouané à 9 millions au Burkina. Alors qu’on ne nous dit pas que tous les pays de la CEDEAO ont les mêmes taux », fulmine Ibrahim Maïga. La réponse de Baba Traoré est sèche : «Certains commerçants peuvent se plaindre. Mais je vous dis une chose, la plupart de ceux qui grèvent ne sont pas des commerçants import-export. Ils n’ont aucun document douanier en leur possession. Ils le font via des personnes qui possèdent des patentes import-export».
Cette situation d’incompréhension entre les commerçants et les autres acteurs du dédouanement fait que l’augmentation réelle ou supposée des frais de dédouanement reste un goulot d’étranglement. Nos nombreuses tentatives pour mettre la main sur le tableau des taux de dédouanement, qui existe pourtant, ont été vaines.
Vies brisées
La situation délétère entre commerçants et douaniers a des conséquences directes sur des vies humaines. La quarantaine révolue, Aboubacar Diarra, le regard hagard croque avec appétit des arachides. Son quotidien consiste à venir chaque jour tailler bavette avec ses amis de toujours. Commerçant prospère, Aboubacar Diarra exerce dans le marché depuis 1987, date à laquelle il a quitté les bancs de l’école. Mais, en 2017, du fait des conditions difficiles d’acquisition de marchandises et des mêmes difficultés pour les écouler, car devenues chères pour la bourse de sa clientèle, il a dû céder sa boutique. Faute de pouvoir assurer les mensualités. Il se déclare aujourd’hui avec ironie comme un « ex-commerçant ». À l’image d’Abouba Diarra, ils sont nombreux à avoir laissé tomber le commerce, n’étant plus rentable. « Il y a beaucoup de membres de notre association qui ont abandonné le commerce et ont pris le périlleux chemin de l’exil. Nous sommes sans nouvelles de beaucoup d’entre eux », dit Sacko du collectif des commerçants détaillants.
Cette situation n’affecte pas que les seuls commerçants. Les clients se plaignent aussi du prix des produits qui ne cessent de prendre l’ascenseur d’année en année.
Le guichet unique comme solution
Pour définitivement mettre fin à cette crise de confiance et de défiance, mettre de la transparence dans la gestion des marchandises à destination du Mali, les commerçants détaillants proposent que le Mali, à l’instar des autres pays de la Sous-région comme le Sénégal, se dote d’un guichet unique pour les dédouanements. «Nous proposons que le Gouvernement mette en place un guichet unique. Qui, en plus de permettre la transparence dans la gestion des marchandises, va régler les nombreux problèmes entre les acteurs et enfin permettre que l’argent que nous payons pour le dédouanement aille directement dans les caisses de l’État et servir au développement du pays et dans les poches des individus», propose Ibrahim Maïga, Président des commerçants détaillants. Cette proposition a été débattue pendant deux tours d’horloge, le 29 juin 2018, lors d’une rencontre réunissant les différents acteurs autour de l’ancien Ministre du Commerce, Abdel Karim Konaté. Selon Ibrahim Maïga, le Ministre (EMPE) n’a pas donné une suite favorable à la question et a estimé que tout débat autour des dédouanements était voué d’avance à l’échec. Une pilule amère que les commerçants peinent à avaler surtout venant d’une personne qui devrait avoir pour souci premier la « sauvegarde des intérêts de la nation».
Les négociations sont au point mort. Mais le renouvellement du Gouvernement qui a vu le Département de tutelle changer de mains, donne espoir aux commerçants qui espèrent que le nouveau Ministre sera plus ouvert à leurs propositions de création de guichet unique afin de rendre définitivement transparent le système de dédouanement au Mali.
Oumar Diakité et Mohamed Sangoulé Dagnoko : LE COMBAT
Note de la rédaction : Cette enquête a été réalisée en collaboration avec Mali Justice Project