« Depuis 2009 et le succès remporté contre l’Etat en faisant réviser le code de la famille après son adoption par l’Assemblée nationale, les mouvements religieux occupent dans le pays une place centrale. Profondément divisés entre courants salafiste (environ 15% de la population mais 29 sièges sur 31 au HCIM et soufi, ces acteurs tendent à s’imposer de plus en plus sérieusement dans le jeu politique. La création en 2012 d’un Ministère des affaires religieuses et du culte a représenté un indéniable succès, confirmé depuis par la pérennisation de ce portefeuille par le président Keita. Ces acteurs religieux assurent des fonctions sociopolitiques centrales de redistribution dans le pays et tendent à s’imposer comme des prestataires essentiels de services “publics” auprès des populations. Dispensateurs de biens et de services sociaux et éducatifs de base, les associations religieuses sont devenues en quelques années des acteurs de premier plan. Dépassant les anciennes figures “animistes”, ils s’imposent aussi comme des déterminants essentiels du vote et des interlocuteurs choyés de la société politique.
Capable d’utiliser la religion comme ressource symbolique et électorale, le candidat IBK était depuis plusieurs années soutenu par ces mouvements. C’est cependant après la crise de 2012, lorsque le secrétaire général du Haut conseil islamique du Mali (HCIM) a été élu président de la Commission électorale nationale indépendante, et qu’IBK eut officiellement reçu le soutien du chérif de Nioro du Sahel (2013) et de son mouvement politique SABATI 2012, que “l’islam” a pleinement intégré le jeu politique sous la forme de mouvements et d’associations, la création de partis confessionnels étant interdite par la charte des partis politiques. S’il réussit pour le moment à capitaliser sur le soutien des principaux leaders religieux (le Chérif de Nioro, le président d’Ansar Dine, Ousmane Madani Haidara, et le président du HCIM, Mahmoud Dicko), plusieurs n’ont pas hésité à le critiquer publiquement. S’ils n’envisagent probablement pas à court terme de se rapprocher d’autres acteurs politiques, ils pourraient en revanche choisir, à plus longue échéance, de susciter des candidatures dans leurs rangs.
Le rejet d’un Etat incapable d’améliorer les conditions de vie de ses citoyens suscite aussi la cristallisation d’un sentiment de nostalgie, non seulement à l’égard des régimes précédents, pourtant profondément critiqués voire honnis, mais aussi parfois de l’occupation islamique des villes du nord-Mali. L’importante influence des organisations religieuses dans la vie quotidienne des populations à travers l’éducation, les prêches, la télévision, les actions caritatives, soutiens financiers, etc. semblent de nature à mobiliser massivement les citoyens et les détourner plus encore des partis politiques traditionnels. En devenant le réceptacle essentiel des frustrations économiques, sociales et politiques, l’islam devient aujourd’hui une valeur politique refuge pour les populations maliennes, particulièrement les couches les plus vulnérables, les jeunes déclassés notamment.
Si les déterminants de la crise malienne de 2012 étaient depuis longtemps connus (corruption, complicité avec certains groupes de trafiquants, ingérences étrangères), le nouveau pouvoir ne semble pour le moment pas avoir pris pleinement la mesure des défis, immenses, posés par le processus de stabilisation, ni tout à fait déterminé à mettre en œuvre les réformes indispensables au développement. La paix au Nord est toujours suspendue après le rejet du texte par la CMA et les hésitations des médiateurs sur l’opportunité ou non de reprendre des négociations déjà fort coûteuses, sans gain politique réel. Les rebelles touareg pourraient aussi manquer l’opportunité d’obtenir une réelle autonomie du Nord, se coupant alors de leurs soutiens parmi les populations, et être définitivement marginalisés par les autres groupes jihadistes et terroristes… »
Extrait du document : Instantané politique malien, trois ans après la crise de 2012
Par Virginie Baudais et Etienne Darles
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