Dimanche 6 août 2017, un responsable politique malien et pas des moindres est l’invité de la chaîne de télévision privée Africable. Très en verve, il donne force détails sur son action, son parcours. Le débat, vers la fin, se focalise, quelques minutes, sur l’armée malienne et sa déconfiture. Selon l’invité, les prémices de cette déconfiture remontent à l’ère Moussa Traoré. Il s’empresse de justifier son assertion en prenant l’exemple sur des conséquences du conflit qui, en 1985, a opposé notre pays au Burkina Faso. Sa justification est la suivante : après le conflit, les Burkinabé ont exhibé, comme prise de guerre un char malien à l’aéroport de Ouagadougou tandis qu’à Bamako, au terme d’une réunion avec ses officiers, Moussa Traoré a dégradé son chef d’état-major général des armées. Et de conclure, dégrade-t-on son chef d’état-major après une victoire ?
Effectivement, un char malien, présenté comme prise de guerre par les Burkinabé, a été exposé à l’aéroport de Ouagadougou ; de même, après le conflit, le chef d’état-major général a fait l’objet d’une sanction. Cependant, la vérité ne doit pas être tronquée. A travers ces lignes, l’intention n’est nullement d’engager une polémique avec le responsable politique pour lequel, du reste, nous avons de la considération, mais de mettre à la disposition des générations montantes une information qui se veut autre que celle des détracteurs de Moussa Traoré. Donc, retour sur un conflit que d’aucuns ont nommé « la guerre des pauvres », d’autres, « la guerre de l’Agacher ».
L’Agacher ! Peu en ont entendu parler. Pourtant, cette bande de terre d’une trentaine de kilomètres de long a été, à deux reprises, au centre d’un conflit entre notre pays et la Haute-Volta. La zone : quatre villages dogons, Douma, Dionouga Kounia et Oukoulourou, des pasteurs peuls et touarègues, une rivière, le Beli, des mares dont la plus importante est celle de Soum. Les cartes placent deux des quatre villages en territoire voltaïque. Mais, durant toute la période coloniale, les mêmes villages étaient administrés depuis Tombouctou. Les deux autres villages ne figurent sur aucune carte ; d’où le dilemme. Au lendemain des indépendances, Modibo Keïta et Maurice Yaméogo conviennent de la constitution d’une commission pour délimiter la frontière. Arrivé au pouvoir en novembre 1968, Moussa Traoré ne se départit pas de cette politique de son prédécesseur. Mais, en 1974, Sangoulé Laminaza, la remet en cause et veut annexer la zone. Il s’ensuit deux jours de combats avant que les chefs d’Etat de la sous-région n’interviennent pour amener les belligérants à mettre fin aux hostilités. Pour une dizaine d’années.
La révolution débordante de Tom Sank !
En effet, depuis le 24 août 1983, à la suite d’un coup d’Etat, le capitaine Thomas Sankara est à la tête de la Haute-Volta. Le pays est rebaptisé Burkina Faso, la « Patrie des hommes intègres » et ses habitants deviennent des Burkinabé. La volonté de rupture avec toute forme de tradition est manifeste. Pour non acquittement de facture, le Moro-Naba est privé de fourniture d’électricité. Le doyen des chefs d’Etat africain francophones, Houphouët-Boigny est traité de « garde-chiourme » des intérêts français en Afrique. Mais c’est à l’égard du Mali que la provocation est poussée à son paroxysme pour déboucher, finalement, sur la création d’un casus belli en 1985.
Tout commence avec le déclanchement d’une « révolution » aux allures populistes. Tom Sank, comme l’ont surnommé ses compatriotes, affectionne les longs discours au cours desquels sont dénoncés : le colonialisme, le néo-colonialisme, l’impérialisme. Cela fait sourire les Maliens qui ont connu, par le passé, de tels slogans : sous Modibo Keïta, ils ont fait et « la révolution », et « la révolution active ». Sankara se sent vexé par notre réaction vis-à-vis de son choix politique et nous le fait savoir : notre compatriote, Drissa Traoré, Secrétaire Général de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEAO) dont le siège est à Ouagadougou, est déclaré persona non grata et expulsé.
L’hostilité à notre égard monte d’un cran. L’homme d’Etat burkinabé a ses informateurs à Bamako. Ceux-ci lui présentent le régime de l’UDPM comme impopulaire, rejeté par les populations. Sur la base d’une telle information, il prononce un discours dans lequel il déclare : «Les autres peuples qui sont à nos frontières ont eux aussi besoin de révolution […] Je veux parler du Mali. […] La révolution du peuple burkinabè est à la disposition du peuple malien qui en a besoin. Parce qu’elle seule lui permettra de lutter contre la faim, la soif, l’ignorance ; et de lutter surtout contre les forces de domination néocoloniales et impérialistes ». C’était en septembre 1985.
Plutôt que de provoquer l’ire du président Moussa Traoré, le passage l’amuse. Cependant, en chef d’Etat averti, il se prépare au pire et demande à la hiérarchie militaire de se tenir prête à toute éventualité. Malgré les provocations, les rapports de bon voisinage subsistent. Dans le courant du mois de décembre 1985, le Président du Faso adresse une correspondance à son homologue malien. L’objectif est de demander d’autoriser des fonctionnaires burkinabé à procéder à une opération de recensement de leurs compatriotes dans les quatre villages jusque là considérés comme étant situés en territoire malien d’après les rapports des administrateurs coloniaux français. L’accord est donné. Mais, à la fin du recensement, les Burkinabé restent sur place, fonctionnaires du recensement appuyés par des miliciens membres des Comités de Défense de la Révolution (CDR). Sommé de retirer ses hommes du territoire malien, Sankara refuse d’obtempérer. Le président Moussa n’avait plus d’autre choix que celui de la guerre. N’a-t-il pas prêté serment de défendre l’unité et l’intégrité de la Patrie ?
La puissance de feu de l’armée malienne agrandit notre territoire
Trois Groupements Opérationnels Tactiques (GOT) sont constitués, placés, respectivement, sous les ordres des officiers Kokè Dembéle au nord, Kafougouna Koné au centre et Souleymane Daffé au sud. L’objectif est de prendre les troupes burkinabé en tenailles, de les défaire avant de converger sur Bobo-Dioulasso, y rassembler l’opposition burkinabé et, avec elle, se diriger sur Ouagadougou pour y proclamer la chute du régime de Sankara et la fin de la révolution.
Les hostilités sont déclenchées dans la nuit de Noël. Elles durent cinq jours. Les quatre villages sont libérés et les troupes maliennes se trouvent à moins de 10 km de Bobo-Dioulasso quand Houphouët-Boigny, rentré précipitamment de Suisse, arrive à imposer un cessez-le-feu aux belligérants. Par la suite, le différend est porté devant la Cour Internationale de Justice de la Haye. S’ensuit un jugement : la bande de l’Agacher, objet d’un litige frontalier depuis 1960, et partagée entre les deux Etats de part et d’autre de la rivière Beli. Toutefois, le jugement est plus favorable au Mali à qui se trouve attribuée la partie occidentale qu’au Burkina Faso : les quatre villages contestés, objet du litige, comme l’importante mare de Soum se trouvent dans la partie de la zone qui lui a été concédée. Grâce à la puissance de feu de notre armée, Moussa Traoré venait d’agrandir le territoire national.
Cependant, après la guerre, un char malien fut exhibé comme trophée de guerre sur l’aéroport de Ouagadougou et le chef d’état-major général des armées maliennes est sanctionné, déchu de son grade de général. Les deux faits sont liés et, contrairement à ce que l’on pourrait penser, ils témoignent plutôt de l’efficacité et de la rigueur. En effet, dans la gestion des affaires publiques sous la Deuxième République, il existait des dominés où l’erreur n’était pas permise et c’est bien ce qui s’est vérifié.
La vérité sur le char malien exhibé !
Pour comprendre la raison pour laquelle le char malien s’est retrouvé sur l’aéroport de Ouagadougou, exhibé comme prise de guerre, il faut revenir au front sud avec le GOT placé sous le commandement du capitaine Souleymane Daffé. L’objectif assigné est de pénétrer en territoire burkinabé par Faramana, de progresser vers Banfora, s’y rendre maître du terrain d’aviation, détruire un petit appareil de l’aéro-club qui s’y trouvait stationné, récupérer le carburant de l’adversaire afin d’économiser le sien et, de Banfora, évoluer vers Bobo-Dioulasso pour y faire la jonction avec les deux autres GOT.
La pénétration sur le territoire burkinabé a lieu au petit soir. Deux conseils sont donnés à une troupe envoyée en éclaireur : faire preuve de prudence et se garder de gaspiller les munitions. Dans sa progression, la troupe tombe sur un détachement burkinabé en bivouac dans une clairière. Il s’ensuit un échange de coups de feu. Face à la supériorité technique de nos soldats, les Burkinabé cèdent le terrain et se replient. Mais, la situation est devenue délicate pour les nôtres : ils ont été repérés et il est sûr que l’adversaire reviendra renforcé. Aussi, la décision est-elle prise de rejoindre la base arrière en territoire malien.
C’est en ce moment que le lieutenant Adama Sonogo se rend compte que la chenille de son char a été sectionnée lors de l’accrochage. Il demande à son compagnon d’armes, le lieutenant Koridjougou Sanogo de l’aider en tractant son blindé. Ce dernier lui répond : « Débrouille-toi ! A la guerre comme à la guerre ! Chacun pour soi, Dieu pour tous ! Abandonne le char et monte dans un autre pour rejoindre la base ! » Réponse de Adama Sanogo : « Je sais combien ce char a coûté à mon pays, je ne l’abandonnerai pas. » Il se résout à passer la nuit dans la tourelle, attendant que l’on vienne le dépanner le lendemain, ignorant le danger auquel il s’expose.
Le détachement, de retour à la base, est passé en revue par le capitaine Daffé. Il constate l’absence d’un char et s’enquiert de la raison du manque. Il lui fut répondu que l’engin a été abandonné en territoire burkinabé. Il ordonne à son second, le capitaine Louis Camara, de prendre immédiatement les dispositions qui s’imposent pour récupérer le char. Au lieu de s’exécuter, le capitaine Camara rend compte au chef d’état-major général, Bougary Sangaré, et lui demande la conduite à tenir. Le général Sangaré interdit tout retour en territoire burkinabé, des négociations pour obtenir un cessez-le-feu étant déjà entamées. L’adversaire profita de ce flottement, revint dans la clairière, y retrouva le char et en fit une prise de guerre. Voilà comment notre char s’est retrouvé sur l’aéroport de Ouagadougou. « A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire », sommes-nous tentés de dire.
Une fois les hostilités terminées, la hiérarchie militaire s’est trouvée en conclave à l’Ecole de la Police nationale, sous la présidence de Moussa Traoré, chef de l’Etat, chef suprême des armées. A l’issue des travaux, des sanctions furent prononcées : Le capitaine Louis Camara et les lieutenants Sanogo furent radiés à vie des effectifs. Par la suite, Adama Sanogo a bénéficié d’une mesure de clémence et a été réintégré. Quant à Bougary Sangaré, il a été sanctionné. Mais tout fut mis en œuvre pour lui éviter une humiliation.
Il y a lieu de se renseigner suffisamment sur ce qu’était l’armée malienne sous la Deuxième République. Il est connu que, dans les milieux occidentaux, Moussa Traoré n’a pas bonne presse. Cependant, quelqu’un que l’on ne saurait taxer de partialité, l’historien Joseph Roger de Benoist, membre de la Société des Missionnaires d’Afrique, relatant le conflit de l’Agacher dans son livre Le Mali, a écrit, comme pour reprocher à Sankara une erreur d’appréciation : « Ouagadougou […] devait aussi considérer qu’il avait en face de lui l’armée la plus puissante d’Afrique francophone… » (Op. cit. Editions L’Harmattan, page 144). Voilà qui se passe de tout commentaire.
Avec quatre aéronefs, la France a arrêté l’offensive des djihadistes à Konna en 2013. Quatre appareils !
Sous Moussa Traoré nous possédions une flotte aérienne constituée de 36 aéronefs : 16 Mig 21, 20 Mig 15 et 17 dont une partie héritée de Modibo Keïta, 3 Mig 23 commandées. Notre armée de terre était équipée de chars T 54 soviétiques, T 64 chinois, T 76. Une artillerie redoutable avec ses BM 21 rendait davantage redoutable cette armée. Elle disposait de bombes traçantes, des bombes qui, par un système de guidage électronique atteignait toujours la cible en dégageant une chaleur égale à 2000°. Certaines furent utilisées lors du conflit contre le Burkina Faso, ce qui nous valu d’être accusés par la France d’avoir utilisé des lance-flammes contre l’adversaire. Nous ne possédions et n’avons possédé de lance-flammes, « ni en stock ni en dotation ». Mais l’accusation fut suffisamment grave pour retenir nos hommes d’utiliser d’autres armes plus sophistiquées en leur possession sur le champ des opérations.
Telle était l’armée malienne sous « le Dictateur ». On peut ne lui reconnaître aucune qualité, on ne pourra pas nier que sous son « régime militaro-fasciste », les Maliens jouissant de la paix et de la stabilité sur l’intégralité de leur territoire, à l’intérieur de frontières sécurisées, vaquaient en toute quiétude à leurs activités. « Le Dictateur » nous avait sécurisés afin que nous puissions nous développer.
Diaoullèn Karamoko Diarra LE SURSAUT