lundi 2 décembre 2024
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Me Amadou Tiéoulé Diarra, Avocat au Barreau du Mali, à propos du Protocole de Maputo : «Les pesanteurs sociales et religieuses sont plus fortes que la puissance de l’État»

L’adoption, en juillet 2003, du Protocole de Maputo, a été historique pour la promotion des droits des femmes; car, posant les jalons de l’égalité des sexes comme principe fondamental. Plus d’une dizaine d’années, que faudra-t-il retenir de cet instrument juridique dont l’application demeure silencieuse ? Il faut rappeler que le Mali l’a ratifié en 2005. Me Amadou Tiéoulé Diarra, Avocat au Barreau du Mali, Défenseur des Droits de l’Homme, travaillant à la Ligue pour la Justice, le Développement et les Droits de l’Homme, nous donne des explications éclairées sur ce Protocole dont certains défenseurs des Droits de l’Homme qualifient de meilleur instrument pour la promotion des droits des femmes. Interview !

LE COMBAT : Pouvez-vous nous parler du Protocole de Maputo? 

Me Amadou Tiéoulé Diarra: Le Protocole de Maputo, d’abord, dans son esprit, on peut  le considérer comme un instrument africain, universel, internationalement reconnu qui permet aux femmes africaines  de se protéger et de se défendre contre les violations qui sont faites à leur endroit. Nous avons, en fait, ce que nous appelons la CEDAW (La Convention Contre l’Élimination de Toutes les formes d’Exploitation et de Violence à l’égard des Femmes). C’est un instrument universel. Mais il faut ajouter que le Protocole de Maputo de juillet 2003 est un symbole du régionalisme africain. Nous sommes Africains, cela ne veut pas dire que les Droits humains sont africains. Cela veut dire tout simplement que c’est notre particularité. L’Afrique est un continent dont les coutumes n’ont pas disparu. Mais, nous revendiquons nos coutumes; notre spécificité en matière de Droits de l’Homme. Par conséquent, les pères fondateurs de l’Union Africaine ont adopté ce qu’on appelle un instrument qui défend et protège les droits des femmes. Par exemple, les questions de l’excision, du veuvage, du droit de l’accès à la terre. Ces questions ne sont pas prévues par les instruments internationaux universels. Ceux qui ont succédé les pères fondateurs de l’UA ont eu à élaborer, à leur tour, un instrument  qui tient compte de ces spécificités. Le droit, par exemple, de la femme de rester dans le domicile conjugal de son mari tant qu’elle ne s’est pas remariée est une revendication spécifique. Le droit également de la femme de ne pas être soumise à des scarifications ou l’excision ou toutes pratiques nuisibles à sa santé.  Ce sont des pratiques spécifiques à la femme africaine. Il y a également ce qu’on appelle le droit pour la femme de s’opposer à toutes formes de pratique néfaste à sa santé; également le droit au développement, à la santé, à la maîtrise de son corps, à la reproduction, parce que c’est la femme qui supporte la grossesse. Il est évident que si la femme ne veut pas faire d’enfant chaque année, c’est un droit qui lui est propre et inhérent. Elle peut en proposer à son mari. Même s’il est possible qu’il refuse. Et elle a le droit de saisir la Justice qui doit dire si elle a tort ou raison.

Est-ce dire que le Protocole de Maputo est l’un des meilleurs instruments de promotion des Droits des femmes comme l’affirment certains défenseurs des Droits de l’Homme? 

Ce qui est en cause c’est l’attitude de chaque pays qui a signé et ratifié le Protocole de Maputo. Le Mali l’a ratifié en 2005.  A l’époque, c’est le Président Amadou Toumani Touré qui a pris une ordonnance de ratification. Depuis, il y a une discussion autour du fait que si ce Protocole est applicable ou pas. Je pense qu’il n’y a pas un débat sur la question. Parce qu’il relève du droit communautaire. C’est un droit communautaire, par conséquent, les dispositions sont directement applicables. Maintenant, il y a le droit et la pratique. Dans un pays où les pesanteurs sociales traditionnelles sont fortes, elles peuvent constituer ce qu’on appelle un barrage à l’application des dispositions communautaires ou universelles. C’est le cas du Mali. Il se trouve que les pesanteurs sociales et religieuses sont relativement plus fortes que la puissance de l’État. Ce qui ne lui a pas permis d’appliquer les dispositions du Protocole. Parce que la justice peut vouloir le faire mais elle doit être aussi adossée à l’Exécutif. J’estime que peu importe que les dispositions de Maputo soient intégrées dans le droit interne ; seulement, la question de fond c’est qu’on ne voit pas  jusqu’à présent le bout du tunnel.

Au Mali, il y a beaucoup d’instruments juridiques  en faveur des femmes. Mais leur applicabilité pose problème.

Qu’est-ce qu’il faut faire pour protéger davantage les femmes ?

Il y a une part de responsabilité de l’État. L’Etat c’est l’Exécutif, le Judiciaire et le Législatif. Il arrive que le pouvoir législatif vote des lois mais ce n’est pas suffisant. L’Assemblée Nationale fait la loi sur l’initiative de l’Exécutif mais son application concrète revient aux Juges.  Normalement, le mécanisme qui doit consister à donner de l’importance à une loi dépend de l’Exécutif et de la sanction qui suit. Parce qu’on peut avoir des belles lois, des beaux textes, ce serait comme des parures, si on ne peut pas les mettre en œuvre. Ce sont des mécanismes dès qu’on essaie de les mettre œuvre, il y aura toujours les pesanteurs culturelles et sociales. Ce qui fait qu’il n’y a pas de sanction. Les femmes ont encore du chemin devant elles.

Concrètement, qu’est-ce qu’il faut faire pour changer la donne?

Il faut avoir le courage de s’intéresser à cette problématique, d’en parler et de dénoncer. Il faut des actions concrètes pour mettre fin à certaines pratiques néfastes qui menacent les droits des femmes. Ce, au nom du Droit à l’intégrité physique et morale de la femme.

Réalisée par Salimata Fofana : LE COMBAT

Rédaction

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