Education en Afrique : « Allez les filles ! » (3). Des associations ont développé une offre d’éducation pour les tout-petits afin de lutter contre l’isolement des familles rurales et le retard que prennent les fillettes.
Zainab Afkhkhar se souvient de la beauté du ciel de l’aube, lorsqu’elle débutait, seule, son long trajet vers l’école. La peur, aussi, lorsqu’elle croisait une horde de chiens affamés. Il fallait marcher vite, sans s’arrêter, pendant plus de deux heures dans les montagnes de l’Atlas pour arriver, enfin, au lycée. Dans sa vallée d’Imlil, le paysage est idyllique, mais l’avenir des femmes l’est beaucoup moins. « Mon instinct m’a très tôt dit que ma survie dépendait du savoir et de l’éducation. Je l’ai suivi », sourit la jeune femme de 20 ans.
Depuis deux ans, elle a quitté sa montagne pour rejoindre le campus ultramoderne de l’université Mohammed-VI Polytechnique (UM6P) de Benguérir, aux côtés des étudiants les plus prometteurs du royaume. Grâce à une bourse d’excellence obtenue après son bac, elle suit un programme de sciences des données et d’intelligence artificielle à l’UM6P. Dotée de laboratoires de recherche et de centres d’innovation de pointe, l’université a signé des partenariats avec les plus prestigieuses universités, de Harvard à Columbia en passant par HEC et le MIT. « Parfois, je n’arrive pas à y croire. Une fille de la montagne arrivée jusque-là, c’est un miracle ! »
Un petit miracle en effet que la prouesse de Zainab Afkhkhar. Car, au Maroc, les filles des régions reculées peinent encore à boucler le cycle primaire. La pauvreté et l’enclavement rendent difficile la fréquentation régulière des établissements. En hiver, la neige coupe les villages du reste du monde et même les professeurs qui bravent le froid à dos de mulet pour enseigner aux tout-petits restent chez eux des jours durant.
Situation qu’a connue Zainab qui, « pour ne pas prendre de retard sur le programme », étudiait seule, se « trouvant toujours un coin pour avancer sur les maths ». Sur l’arabe aussi car, dans les villages, « on ne parle que le berbère. Alors beaucoup abandonnent au collège parce qu’ils n’ont pas le niveau », ajoute l’étudiante, qui note que les filles sont les premières à quitter les classes. Une observation confirmée par les chiffres des Nations unies qui précisent que seulement 57,8 % des Marocaines rurales vont au collège et 18,8 % au lycée.
Cercle vertueux
Pour faire mentir ces statistiques, l’éducation préscolaire se révèle un bon levier. « Il y a dix ans, ce n’était pas une priorité. Moi-même, je me disais que c’était un luxe, défend Wafa Skalli, présidente de l’association Relais instruction éducation Maroc (RIM). Or beaucoup d’études montrent que ces classes jouent un rôle majeur dans la réussite des enfants. Alors nous essayons d’impulser une dynamique d’excellence à travers une chaîne complète qui va du préscolaire à l’enseignement supérieur. »
Dans la vallée d’Imlil, l’association, en partenariat avec l’ONG Aide et Action, a déjà construit 24 classes de maternelle où sont scolarisés plus de 3 000 enfants, dont une moitié de filles. « Nous sommes là pour renforcer leurs compétences, les former, et montrer que c’est possible. Ensuite, les associations locales gèrent elles-mêmes. Elles sont tellement émerveillées du résultat qu’elles montent ensuite leurs propres projets, c’est extraordinaire », poursuit Mme Skalli, ravie de ce cercle vertueux.
Dès les premières années, les petites filles se familiarisent avec les règles d’hygiène, les jeux d’éveil, les premiers éléments de langage. Latifa Oufkir est entrée à l’école à l’âge de 3 ans. Six ans plus tard, elle mesure ses progrès : « On pensait que la pâte à modeler était juste un jeu mais en fait, on fabriquait des lettres ! », raconte la petite fille. « Il y a un réel changement, se félicite Mustapha Lghlafi, l’un des enseignants. Maintenant, un enfant de 6 ans sait lire et écrire. Avant, il devait attendre cet âge pour apprendre ne serait-ce qu’à tenir un stylo. »
Si l’amont du primaire va mieux avec la création de maternelles, reste l’aval, à améliorer, car dans les petits douars au pied des sommets, les collèges et les lycées sont rares. Il faut des heures pour rallier les grandes villes et la plupart des familles refusent de laisser leurs enfants prendre le risque de parcourir seuls des dizaines de kilomètres à pied chaque jour pour apprendre.
« Des histoires de réussite »
Fortes de ce constat, les associations ont donc construit des foyers pour accueillir gratuitement les jeunes filles. Depuis 2007, l’association RIM en a ouvert deux à Asni, une ville au pied du Haut-Atlas où se trouvent un collège et un lycée, permettant à des dizaines de filles d’aller jusqu’au bac. « Nous avons bataillé pour convaincre les parents qui étaient effrayés à l’idée de voir leurs filles, adolescentes, vivre sans eux. Des histoires de réussite ont fini par les convaincre et aujourd’hui, tous les parents veulent y envoyer leurs filles ! », se réjouit Mme Skalli, qui pense maintenant à développer une maison de la science dans la vallée.
Sur les vingt premières élèves placées dans un foyer de RIM, quatorze ont décroché le bac, dont trois avec une mention très bien. Des statistiques exceptionnelles pour la région. Zainab Afkhkhar en fait partie. Avec plus de 18 de moyenne, elle a terminé première de sa promotion. Mais il a fallu batailler pour convaincre son père tout au long de sa scolarité.
« C’est une autre mentalité, se contente de dire l’étudiante. Je n’ai jamais baissé les bras. Je pouvais me priver de manger, dormir par terre s’il le fallait, mais je n’ai jamais cessé d’étudier. » Future « data scientist », précise fièrement Zainab, la jeune femme se dirige vers un parcours de recherche en sciences des données. « Les autres rejoindront des entreprises. Moi, j’ai choisi le chemin le plus difficile. » Elle éclate de rire avant d’ajouter : « Comme toujours. »