Dans notre précédente parution (Le Sursaut N°34 du mardi 2 mai) nous avions brièvement évoqué du baptême du feu réussi du jeune ministre Arouna Modibo Touré qui a fait voter à l’unanimité des députés la loi de création de l’AGEFAU (Agence de Gestion du Fonds d’Accès Universel). Nous avons fait des investigations approfondies pour en savoir davantage, et ce, à cause de tous les scandales qui ont émaillé la gestion de ce fonds depuis des années. Scandales dont la presse s’est fait largement et régulièrement écho en 2010, 2012, 2013, 2015, 2016. Nos enquêtes ont été menées auprès des opérateurs de télécommunications, des différents cadres, dont des retraités. Nous avons également consulté la documentation disponible sur le sujet (articles de presse, rapports annuels des Régulateurs de la Sous-région, débats sur le net, rapports des opérateurs, documents du Gouvernement). Les résultats de notre enquête nous révèlent l’étendue du grand gâchis et l’énorme perte de temps. Toutes choses auxquelles le gouvernement Abdoulaye Idrissa Maîga avec son jeune et dynamique ministre Arouna Modibo Touré entendent mettre un terme. Lisez !
Qu’est-ce que le Fonds d’Accès Universel (FAU) ?
La reforme du secteur des télécommunications, entreprise par le Gouvernement en 1999, a abouti, d’une part, à la libéralisation du secteur avec la délivrance de licences à des opérateurs privés ( ce qui a donné naissance à IKATEL en 2002 devenu en 2010 Orange-Mali), d’autre part, à la privatisation de l’opérateur étatique SOTELMA (en 2009). A la suite donc de la libéralisation, les télécommunications se trouvent entièrement contrôlées par les multinationales : Orange-Mali, contrôlée par France-Télécom par le biais de la SONATEL (Société Sénégalaise), SOTELMA MALITEL, contrôlée par Vivendi par le biais de Maroc-Télécom.
Les sociétés privées étrangères se sont installées au Mali sur la base de cahiers de charge, lesquels déterminent clairement les zones géographiques qu’elles ont l’obligation de couvrir par leurs réseaux téléphoniques et ce, afin de rentabiliser leurs activités commerciales. Elles n’ont donc pas l’obligation d’assurer la mission de service public, dévolue par le passé à la société d’Etat qui était SOTELMA. La mission de service public, dans le cas d’espèce, consiste au désenclavement des localités rurales, des zones éloignées ou difficiles d’accès du pays (zones qui, par définition, ne sont pas rentables pour les opérateurs privés). Cette mission de service public était d’autant plus urgente à remplir que, si rien n’était fait, la nouvelle situation provoquerait l’aggravation de la fracture numérique déjà existante entre les villes et campagnes. C’est donc pour avoir les ressources financières nécessaires pour le désenclavement des zones rurales éloignées ou difficiles d’accès que le Gouvernement a institué le FAU (le Fonds d’Accès Universel). C’est une pratique qui existe dans tous les pays du monde où les télécommunications sont détenues par des privés. Le FAU n’est donc ni un impôt, ni une redevance, c’est une contribution des opérateurs télécoms pour permettre à l’Etat de financer la démocratisation des TIC en finançant l’installation des réseaux dans les zones rurales.
Le montant du FAU varie suivant les pays. Il va de 1% à 11% du chiffre d’affaires annuel des opérateurs.
En général, plus le pays est vaste plus le pourcentage du chiffre d’affaires des opérateurs affecté au FAU est élevé : dans les grands pays (en superficie) il va de 4% à 11% ; dans les pays de petite superficie, il varie entre 2% et 4%. Par exemple, en Afrique, il est 2% au Togo, au Gabon, au Ghana alors qu’il est de 3% au Sénégal, 4% au Niger, 3% en Algérie. Mais, au le Mali, sans qu’on en sache raison, il est de 1%, pour un pays est l’un des plus vastes et des plus enclavés d’Afrique.
Comment le FAU est collecté et géré au Mali ?
Le FAU a été institué depuis 1999 au Mali par l’Ordonnance portant réforme du secteur des télécommunications. Dans les cahiers des opérateurs privés (IKATEL d’abord en 2002 et SOTELMA-Malitel en 2009), le Gouvernement du Mali a fixé le taux du FAU à 1% de leurs chiffres d’affaires annuels respectifs. La collecte du fonds auprès des opérateurs a été confiée au Régulateur (le Comité de Régulation des Télécommunications, CRT crée en 1999, devenu Autorité Malienne de Régulation des Télécommunications et des Postes, AMRTP depuis 2011).
Cependant, la gestion proprement dite du FAU nécessite, comme préalable, la définition des modalités de mise en œuvre des projets d’Accès Universel, c’est-à-dire l’adopter de textes organisationnels et, la surtout, la définition du mode de fonctionnement du FAU et du mode de choix de l’opérateur de service universel, l’évaluation des coûts et la détermination des localités à couvrir annuellement.
De nos investigations, il ressort que le principal problème posé au Mali, et qui a été à la base de tous les conflits et débats autour du FAU, est l’approche différente entre les ministères de tutelle et la Primature d’une part, et le Régulateur (CRT, AMRTP) d’autre part. Le Régulateur, qui, par la loi, a la responsabilité de la collecte du FAU auprès des opérateurs, exige comme préalable à l’utilisation, l’adoption de textes qui déterminent les modalités de gestion, les acteurs parties prenantes et la définition claire des rôles et responsabilités de chaque acteur ; cela, afin d’éviter que le FAU ne soit détourné de son objet initial pour être utilisé à d’autres fins, toute chose qui pourrait conduire les opérateurs à verser de payer leur contribution. L’Ordonnance N° 99-043/PRM du 30 septembre 1999, stipule qu’ « un Fonds de service et/ou de l’accès universel est crée auprès et sous la responsabilité du Comité de Régulation des Télécommunications (CRT) afin de financer le service et/ou l’accès universel ».
Ainsi sur proposition du CRT, le Gouvernement a adopté en mars 2010 la stratégie d’accès universel aux services de télécommunications en milieu rural et zones éloignés. Mais la mise en œuvre de cette stratégie est restée confrontée à l’absence de dispositif institutionnel de sa gestion.
En 2011, une nouvelle ordonnance (N°02011-023 du 28 septembre 2011) vient abroger celle de 1999 (citée plus haut). Elle prévoit que « l’Etat met en place un Fonds d’accès universel » et qu’ « un décret pris en Conseil des ministres fixe les modalités de contribution, le taux, les modes de gestion et détermine les opérateurs astreints au financement du Fonds ». La même Ordonnance stipule que le Régulateur (AMRTP) « doit veiller à la mise en œuvre effective des stratégies d’accès universel ».
Comme on peut le constater, les textes de 1999 à 2011 confèrent tous au Régulateur (CRT devenu AMRTP) le rôle central dans la conception et la mise en œuvre de la politique d’accès universel. Cette disposition résulte des Actes additionnels de la CEDEAO A/SA 6/01/07 relatifs à l’Accès universel (service universel) qui stipulent que : « les Etats membres prennent toutes les dispositions nécessaires pour faire des Autorités nationales de régulation, les responsables de la mise en application des politiques dédiées à la fourniture du service… ». De même, la directive de l’UEMOA N°04/2006/CM/UEMOA, relative au service universel stipule : « les Etats membres mettent en place le cadre législatif et réglementaire applicable à la mise en œuvre du service universel. A ce titre, les Etats membres veillent en particulier à ce que l’Autorité nationale de Régulation propose chaque année au Ministre en charge du secteur, les actions à mener au titre du service universel,… »
Or jusqu’en 2015, au Mali, aucune mesure réglementaire n’a été prise par le Gouvernement pour la gestion du FAU.
En janvier 2015, le Directeur Général de l’AMRTP devient Ministre en charge des Télécommunications dans le Gouvernement de Modibo Kéita. Naturellement, l’un des premiers textes qu’il s’attelle à faire adopter par le Gouvernement est celui relatif aux modalités institutionnelles de gestion du FAU. Il remet dans le circuit tous les projets de textes relatifs au FAU, bloqués au ministère de la Communication (on ne sait pour quelle raison) depuis des années. L’adoption de ces textes crée des malentendus entre le ministère chargé des Télécommunications et la Primature : le Premier ministre veut créer un service administratif directement rattaché à la Primature pour gérer le FAU, le Ministre émet des réserves. Entre temps, L’AMRTP met à la disposition du Gouvernement la liste des localités et communes à couvrir.
La création de l’AGEFAU !
Les services du Premier ministre concoctent dès lors la création d’un Etablissement public à caractère administratif (EPA) sous la dénomination : Agence de Gestion du Fonds d’Accès Universel (AGEFAU) rattachée à la Primature. Le ministère réagit en expliquant que la création d’un EPA pour gérer le FAU est contraire aux engagements internationaux et communautaires auxquels le Mali a souscrit, en particulier les Actes Additionnels de la CEDEAO et les Directives de l’UEMOA relatifs au secteur des Télécoms, singulièrement ceux relatifs à l’Accès Universel/ service universel. En rappelant au passage que du reste, tous les pays de la CEDEAO et de l’UEMOA ont pris l’engagement solennel, en 2006 et 2007, de transposer toutes les législations nationales pour les rendre conformes aux textes communautaires et en rendre compte en Conférence des Chefs d’Etat avant 2009, que le Mali, en plus du retard pris dans la transposition de ses textes sur les Télécoms, ne doit pas, de surcroit, prendre des textes en porte à faux avec les textes communautaires.
Le bras de fer dure des mois. En décembre 2015, le Premier ministre convoque une réunion avec certains ministres, mais sans le ministre des Télécommunications et entérine la création de l’AGEFAU sous forme d’EPA. Malgré les expresses réserves du ministre, le même texte est introduit et adopté en Conseil des ministres en janvier 2016. En juillet 2016, le ministre cesse de faire partie du Gouvernement. Quelques semaines plus tard, le Conseil des ministres nomme comme Directeur Général de l’AGEFAU, un de ses anciens Conseillers Techniques.
Malgré cette nomination intervenue immédiatement après le départ du ministre, la mise en œuvre de la stratégie d’Accès universel piétine, jusqu’à l’arrivée du Gouvernement de Abdoulaye Idrissa Maïga. Et pour cause !
D’après nos informations, les opérateurs de Télécoms, craignant que le FAU sur lequel ils ont, en principe, un droit de regard, ne soit utilisé à d’autres fins que son objet légal, ont discrètement alerté les PTF du risque encouru avec les décisions du Premier ministre. Car, estiment-ils, l’AGEFAU, créée sous forme d’EPA, rattachée à la Primature, n’est pas une Autorité Administrative Indépendante. Cette violation de la législation communautaire et des recommandations de l’Union Internationale des Télécommunications (UIT), fait courir des risques d’un détournement d’objet dans l’utilisation du FAU. Ainsi, certains PTF, ont même posé comme condition à leur appui budgétaire, « des éclaircissements supplémentaires sur les textes qui définissent la nature du compte devant recueillir les ressources du Fonds d’Accès Universel ». Le compromis trouvé est de faire loger désormais le FAU dans un compte d’affectation spéciale ouvert au Trésor, sur lequel, les PTF et les opérateurs auront l’œil. C’est apparemment les raisons implicites pour lesquelles le Directeur Général de l’AGEFAU nommé en urgence depuis août 2016, n’a pu mener aucune activité significative dans le cadre de la mise en œuvre de l’accès universel pour le désenclavement des centaines de communes rurales ou éloignées qui n’ont toujours pas accès au téléphone.
Le montant du FAU, les affaires et scandales qui ont emmaillé sa gestion depuis 2008
De nos investigations, il ressort qu’il y a, à ce jour, environ 35 Milliards F CFA dans le FAU. Ce montant est le cumul de toutes les contributions payées par les opérateurs des Télécommunications depuis des années, plus les intérêts générés par les dépôts bancaires.
L’utilisation du FAU a fait couler beaucoup d’encre et de salive dans les médias, surtout à partir de 2012. On se souvient des tiraillements entre l’AMRTP, les opérateurs, le ministère de la Communication, la Primature entre décembre 2012 et avril 2013.
En effet, en 2012 déjà le montant cumulé du FAU ayant dépassé les 10 milliards FCFA, des individus, visiblement bien informés se faisant passer pour des représentants de la junte au pouvoir, le CNRDRE, ont voulu pomper, une partie des sous, comme ils l’avaient réussi dans certains grands services de l’Etat : le PMU-Mali, la Douanes, les impôts, l’APEJ, etc.
Ainsi, un jour de décembre 2012, vers 17 heures, un groupe d’hommes en tenue, débarquent au siège de l’AMRTP. Ils demandent à voir le Directeur Général, qui les reçoit immédiatement. Les débats tournent essentiellement autour « d’un fonds existant à l’AMRTP, mais qui est utilisé à des fins non officielles ».Il est question de « donner le montant total dudit fonds et surtout de le rendre disponible pour les besoins de l’Etat ». Le Directeur aurait expliqué calmement que pour rendre le fonds disponible il faut deux conditions, qui ne sont pas difficiles à remplir par le Gouvernement : soit élaborer et faire adopter les textes qui déterminent les conditions de mise en œuvre, et donc de l’utilisation du FAU ; soit donner des instructions des hautes autorités pour virer le fonds dans un compte du Trésor public, ouvert à cet effet. Quelques jours après, le DG de l’AMRTP est sommé de rendre compte, par écrit, de la situation du fonds. Ce qui fut fait ; le document indique qu’au 1er janvier 2013 il y avait au total 10,3 Milliards FCFA dans le FAU.
Les appétits s’aiguisent !
Le Régulateur, usant de son statut d’organe indépendant, exige avant tout décaissement l’adoption de textes sur la gestion du FAU, ou des instructions écrites des autorités.
Le 11 janvier 2013, Konna est attaqué par les djihadistes d’Ançar-e-Dine déjà maîtres de certaines zones du Nord-Mali. Le Président de la République par intérim, dans un discours à l’ORTM lance un appel aux sociétés minières et des télécommunications pour contribuer à l’effort de guerre de la Nation. Les opérateurs invités à des réunions successivement par les ministres des Télécoms et des Finances, écoutent poliment, mais ne mettent pas la main à la poche.
La solution trouvée est de charger le DG de l’AMRTP d’obtenir des opérateurs l’accord de principe pour l’utilisation d’une partie du FAU. Ce que les opérateurs acceptent sans résistance, mais ils conditionnent leur accord à la non utilisation du montant prélevé sur le FAU « pour l’achat de matériel létal ». Cela pour ne pas être un jour accusés de financer la guerre, car, rappellent-ils, le FAU, n’est ni un impôt, ni une redevance payés à l’Etat, mais une contribution spécifique des opérateurs pour un but précis : le désenclavement des zones rurales éloignées n’ayant pas accès au réseau téléphonique.
Un des opérateurs en a même profité pour demander à l’Etat de lui rétrocéder une partie du FAU pour compenser les pertes liées à la destruction, au Nord, d’une partie de ses équipements à hauteur de 2,5 Milliards FCFA. Ce à quoi le Régulateur oppose un niet catégorique, expliquant que le FAU n’est pas un fonds d’assurance, et ce malgré les instructions écrites du ministère de la Communication, lui-même agissant sur ordre du Premier ministre. Les lecteurs se rappellent, entre février et mars 2013, des passes d’armes par médias interposés entre l’AMRTP, le ministère de la Communication et la Primature.
Au total, après toutes ces péripéties, le FAU a pu être sauvegardé pour l’essentiel. C’est pourquoi, à la date de l’adoption de la Loi sur l’AGEFAU, votée par l’AN le 27 avril 2017, le montant du FAU s’élève à plus de 35 Milliards F CFA.
Il nous revient également que les décaissements effectués sur le fonds depuis sa création sont de : 200 millions F CFA, payés par l’Etat malien en 2009 comme participation du Mali au Fonds de solidarité numérique (qui à son siège à Genève) ; 5 milliards F CFA (virés sur un compte du Trésor public en 2013, spécialement ouvert sur instructions du Premier ministre pour soutenir l’effort de libération du Nord) ; 165 millions F CFA, utilisés sur instruction du Premier ministre en 2013-2014 pour l’installation d’internet dans les universités de Bamako. Soit un total de 5, 365 milliards F CFA.
Nous reviendrons dans nos prochaines éditions sur d’autres aspects moins honorables de la gestion du FAU, lorsque des ministres et des Premiers ministres ont tenté de faire main basse là dessus. Il suffit de rappeler pour l’instant, que, dans le sillage de ces conflits d’intérêt et de compétence entre les Premiers ministres, les ministres et la direction de l’AMRTP, quatre missions de contrôle et d’inspections du FAU ont été ordonnées : une mission du Vérificateur Général en juin 2013 à la demande du Premier Ministre, trois missions de contrôle entre janvier et juin 2016 ( deux missions du Contrôle Général d’Etat et une mission de la Direction Nationale du Trésor) également à la demande du Premier Ministre. L’objectif de ces multiples contrôles était clairement « de déceler des détournements et des malversations dans la gestion du FAU par l’AMRTP ».
Les conclusions de ces multiples contrôles et vérifications, disponibles au niveau de la Primature, ont toutes mis « en exergue une gestion rigoureuse et exemplaire du FAU par l’AMRTP, qui, à l’absence de textes l’autorisant n’a effectué aucune dépense sur ces fonds depuis sa mise en place… »
En conclusion
Bien que l’AGEFAU ait vu le jour sur fond de malentendus, malgré son statut d’EPA (qui est manifestement contraire à la législation communautaire qui engage le Mali et qui exige des Gouvernements de faire gérer la FAU par un « organe indépendant »), le mérite du Gouvernement AIM est de sortir sa gestion de l’ambiguïté, de la confusion des genres, voire des conflits d’intérêts et de compétence, pour investir cette manne (35 milliards FCFA) pour effectivement désenclaver des milliers de villages abritant des milliers de citoyens, dans plus de 150 Communes, qui n’ont pas encore accès au téléphone, encore moins à l’internet, et qui attendent depuis des années. Ce serait l’un des plus grands chantiers du mandat du président IBK.
Que Dieu le Tout Puissant inspire donc le nouveau PM, Abdoulaye Idrissa Maïga et son dynamique ministre chargé des Télécoms pour qu’ils débloquent ce dossier, au plus grand bonheur des populations, après avoir résolu d’autres conflits dans les domaines de la santé, de l’éducation et du football.
A suivre
Mimi Sanogo LE SURSAUT