Le problème chez nous au Mali comme ailleurs en Afrique est que notre classe dirigeante et nos élites ont failli au point de déposer les armes dans la guerre intellectuelle qui fait rage dans le monde. Notre classe dirigeante et nos élites se laissent tout dicter, en particulier par leurs partenaires au développement, par pur complexe d’infériorité.
La France leur dit ouvertement qu’elle n’a pas d’ami mais plutôt des intérêts, elles insistent cependant à appeler et à voir en la France une amie qui en plus est incontournable dans le processus de développement de leur pays. Pourtant une évaluation exhaustive, sans complaisance, de notre coopération avec la France au cours des 58 dernières années confirmerait ce que tout le monde sait déjà: notre pays n’en a rien tiré ou presque rien. La même chose vaut pour notre coopération avec tous nos pays partenaires au développement sans exception.
Le partenariat au développement est basé sur l’assistanat à travers ce qu’on appelle pompeusement l’aide au développement, une escroquerie planétaire qui n’a jamais développé un pays. Au contraire, le partenariat au développement a contribué à infantiliser notre classe dirigeante et nos élites, à approfondir le déséquilibre dans nos relations avec le reste du monde, et à faire de nos « pays de merde » des objets de ridicule et de dérision dans le monde.
Quelques faits qui donnent le tournis: le Mali fait partie des plus grands producteurs de mangue dans le monde, cependant les rayons de nos supermarchés et de nos alimentations sont souvent occupés par du nectar de mangue importé parfois de pays qui n’ont jamais fait pousser un pied de manguier. Notre pays se hisse régulièrement au rang de premier producteur de coton en Afrique, pourtant nous en sommes réduits à porter la friperie des ressortissants de pays qui n’ont jamais vu pousser un pied de cotonnier. Notre pays est dans le trio de tête de la production d’or en Afrique, mais aucune étape de l’exploitation de ce minerai précieux ne se déroule chez nous à part l’extraction.
Le président de la première puissance mondiale, Donald Trump, vient de déclencher une véritable guerre commerciale mondiale pour protéger la surpuissante industrie américaine de l’acier et de l’aluminium, nos dirigeants acceptent passivement l’importation chez nous de produits aussi banals que le cure-dent et comble de la honte, la crème glacée. C’est seulement dans nos pays qu’on peut entrer dans une alimentation et/ou un supermarché et ne trouver sur les rayons aucun produit fait chez nous, même les produits aussi simple à produire que le jus de fruit, la mayonnaise, le concentré de tomate, la confiture, le lait en poudre, la crème glacée, etc.
Par ailleurs, les étals de nos marchés sont remplis de fruits et légumes importés de pays lointains et sans lien économique naturel avec nous, comme l’orange, l’oignon, la pomme de terre, etc., qu’on peut pourtant produire et même surproduire sans difficulté chez nous.
En fait, nos dirigeants n’hésitent pas à passer un contrat à coup de milliards de nos francs avec une société d’un pays beaucoup plus riche que le nôtre pour enlever nos ordures, sans y inclure leur traitement, leur recyclage, et leur transformation (en énergie par exemple). A terme, ce choix abracadabrantesque, ou plutôt cette escroquerie de classe mondiale annihilera toute perspective de croissance des GIE d’assainissement, portés généralement par les jeunes, qui se battaient déjà dans des conditions extrêmement difficiles pour survivre.
Pour couronner le tout, notre classe dirigeante et nos élites ont laissé des étrangers faire main basse sur notre argent (le peu de ressources monétaires et financières générées par les rares activités économiques chez nous en dépôt dans les banques opérant dans notre pays), pour le détourner de l’investissement dans notre économie vers la spéculation boursière dans des pays étrangers, contre l’escroquerie portant le label « aide au développement » et la promesse fumeuse d’investissements hypothétiques voire chimériques des pays des concepteurs de ces politiques.
A titre d’exemple, le gouvernement d’IBK vient de tenir du 19 au 21 avril un Salon international de l’industrie, une initiative qui aurait pu être louable sans le choix saugrenu de ses concepteurs de soumettre les projets industriels de nos compatriotes recensés au cours des pré-salons organisés dans les capitales régionales en prélude à cet événement, au financement d’hypothétiques investisseurs étrangers. Cette initiative est difficile à comprendre, d’autant que déjà dans les années 2000, notre pays avait multiplié sans résultat aucun, ce genre d’initiatives, couronné par le salon du MCC à Washington.
Le MCC (chapitre malien MCA) est un projet de l’ancien président Américain George W Bush, qui visait initialement à développer certains secteurs de l’économie, en particulier le secteur industriel dans plusieurs pays de l’Afrique sub-saharienne, dont le nôtre. A l’époque, le gouvernement du Mali, à travers le CNPI (Centre National de Promotion de l’Investissement), actuelle API, a recensé près d’une centaine de projets industriels pertinents conçus par des promoteurs maliens, que nos banques refusaient déjà de financer. Le Salon du MCC, dont le Mali était l’invité d’honneur cette année-là, était donc perçu comme une rare opportunité d’obtenir le financement de ces projets par de potentiels investisseurs étrangers, que le gouvernement d’ATT faisait d’énormes efforts pour attirer chez nous. Comme on pouvait s’y attendre, la moisson fut maigre, et l’écrasante majorité de ces projets, pourtant indispensables au décollage économique de notre pays, n’a jamais vu le jour.
Pour les mêmes raisons, les projets que le gouvernement d’IBK vient de soumettre aux investisseurs étrangers invités à son salon international de l’Industrie, qui s’est tenu dans la foulée du Forum Invest in Mali sur le même thème, ont très peu pour ne pas dire aucune chance de trouver preneur. En effet, les investisseurs étrangers tant convoités rechignent à investir dans ces projets non parce qu’ils ne sont pas bons ou pertinents, mais simplement parce qu’ils considèrent que financer ces projets chez nous équivaudrait à condamner les industries du même secteur dans leur propre pays.
Cette perspective est d’autant plus réelle que dans sa conception corrompue, le plan d’industrialisation de notre pays prévoit l’exportation comme un objectif majeur de notre future industrie, une idée saugrenue dans un contexte où la quasi-totalité des besoins de nos populations, même les plus élémentaires, sont couverts par les produits importés, et où tous les pays non industrialisés cherchent à surmonter cet obstacle majeur à leurs efforts de développement réel.
Au-delà de ces considérations, la question de fond que pose cette situation est la suivante: pourquoi nos gouvernants successifs se sentent-ils obligés de soumettre les projets de nos jeunes et de nos opérateurs économiques, généralement de petite et moyenne industrie, à des investisseurs étrangers alors que nos banques et autres établissements financiers ont assez de ressources pour les financer ?
Pourquoi, malgré leurs échecs récurrents, multiplier l’organisation à coup de centaines de millions de nos francs de salons pour attirer des investisseurs étrangers dans les secteurs industriels et infrastructurels si crucialement importants pour le décollage économique de notre pays, alors que nos banques peuvent encore une fois financer ce genre d’efforts? La réponse, simple, est que nos banques refusent catégoriquement de prendre le risque de financer ce genre d’opérations dans notre pays, et notre Etat n’a aucun pouvoir ni moyen de les y contraindre dans l’environnement bancaire actuel.
Ainsi, profitant de la crise des mauvaises créances de la BDM et d’autres banques de la sous-région dans les années 80, notre institution monétaire ouest africaine, l’Uémoa, et sa branche exécutive, notre banque centrale, la BCEAO, ont régulé avec la complicité des grands manitous de la finance internationale, nos banques, qui se sont elles-mêmes autorégulées et organisées pour ne plus investir leurs avoirs dans l’activité économique réelle dans nos pays, choisissant plutôt la solution facile de la spéculation boursière avec lesdits avoirs sur le marché financier et monétaire international.
La règlementation bancaire en vigueur dans notre pays, conçue à l’Uémoa par les grands savants de la finance internationale sous le regard docile et bienveillant de nos élites, et les mesures prises par leur prolongement dans le système bancaire national pour réguler leurs institutions individuellement, avec la complicité active de notre classe dirigeante, ont rendu l’accès des promoteurs de projet dans notre pays au financement bancaire virtuellement impossible.
Parallèlement au choix saugrenu et abracadabrantesque de placer nos ressources monétaires et financières sous le contrôle de parfaits étrangers, notre classe dirigeante et nos élites se sont rendus complices de la conception et de l’exécution d’une politique félon d’assistanat basée sur l’aide au développement, comme pour confirmer aux yeux de leurs mentors étrangers que nos pays ne peuvent pas prendre en main leur propre destin.
Renoncer à ses propres ressources pour s’abaisser au rang de mendiant international est le comble de la lâcheté intellectuelle, cette lâcheté intellectuelle qui a inhibé toutes initiatives tendant à créer une base industrielle dans notre pays en particulier, et dans notre espace sous-régional en général, faillite que l’organisation du salon international de l’industrie et d’événements similaires vise à couvrir.
Ces quelques faits concrets illustrent à suffisance la faillite et l’abdication de notre classe dirigeante et de nos élites dans la guerre intellectuelle que leur imposent leurs homologues du reste du monde dans le seul but d’accaparer et d’avoir la mainmise sur nos ressources et nos richesses. Tant que notre classe dirigeante et nos élites ne prendront pas conscience qu’elles sont dans une guerre intellectuelle mondiale et que dans cette guerre, l’ennemi a réussi par le mensonge et la manipulation à se faire passer pour l’ami, la bête pour la belle, et qu’elles n’ont aucun autre choix que de se hisser à la hauteur de cet ennemi dans cette tâche critique, nos pays n’auront aucune chance de se développer, ni aujourd’hui ni demain. Accepter la situation décrite dans ces pages équivaudrait à perdre encore une fois la guerre intellectuelle mondiale en cours, avec le risque réel pour notre pays de disparaître à moyen ou long terme.
Kandioura LE CONFIDENT