vendredi 22 novembre 2024
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Dr Abdoulaye Sall À propos de la révision constitutionnelle : « Si nous voulons changer, il faut que nous soyons nous-mêmes »

Le projet de loi constitutionnelle adopté par l’Assemblée Nationale, en début de ce mois, suscite beaucoup d’agitations. C’est déjà le référendum avant le 9 juillet prochain. Car, les partisans du OUI et ceux du NON s’affichent déjà. Nous avons rencontré Dr Abdoulaye Sall, Président du Cercle de Réflexion et d’Information pour la consolidation de la démocratie au Mali (CRI-2002), contact national de transparency international au Mali, ancien Ministre des Relations avec les Institutions. Dans l’interview qui suit, il tente d’expliquer le contexte de cette révision constitutionnelle. Même s’il est pour la création de la Cour des Comptes et du Sénat pour lequel il optait depuis qu’il était Ministre des Relations chargé des Institutions.

LE COMBAT : Quel commentaire faites-vous du projet de loi constitutionnelle que vient d’adopter par l’Assemblée nationale ?

Dr Abdoulaye Sall : Quand on parle déjà de révision constitutionnelle, cela veut dire que nous sommes dans un Etat de Droit. Qui parle d’Etat de Droit parle également de croissance et de développement. C’est pourquoi on dit souvent qu’il ne faudrait pas confondre ces deux choses. Il peut y avoir croissance sans développement mais il ne serait y avoir de développement sans croissance. Cela veut dire qu’il faut d’abord créer les richesses. Quand on crée ces richesses comment les repartir de façons équitables entre tous les fils du pays ou encore les investir dans les services sociaux de base dont l’Education, la Santé, etc. Concernant également la révision constitutionnelle, c’est la croissance et le développement pour la simple raison que c’est le 8 juin 1992 que notre pays a accédé à la Démocratie pluraliste ; c’est-à-dire, celle instaurée sur ces deux jambes ou encore avec ces deux enfants (les partis politiques et les élections). Dans un pays où il n’y a pas de partis politiques, il n’y a pas de Démocratie. Dans un pays où il n’y a qu’un seul parti, il n’y a pas de Démocratie. Il faut plusieurs partis, un pluralisme politique pour parler de Démocratie. C’est pour compétir à travers des élections qui doivent être libres, régulières, transparentes, justes, crédibles et apaisées. Nous pouvons dire qu’en matière de croissance, depuis 92, on est en Démocratie. Et comment passer de cette croissance au développement. Aujourd’hui, on a à peu près 185 partis politiques au Mali, alors qu’avant le 26 mars 1991 il n’y avait qu’un seul parti politique. Problème de croissance en parti politique, c’est évident. Est-ce qu’on peut avoir 185 projets de société pour 16 millions de maliens ? Parce qu’il est bien dit dans la constitution que les partis politiques doivent concourir à l’expression du suffrage cela veut dire aller à la base pour pouvoir préparer les citoyens par rapports aux grandes questions de la nation et apporter des solutions. Le défi, c’est comment   transformer cette croissance en moteur de développement pour notre pays ? C’est là où nous allons attaquer le problème de richesses comme en économie. En économie, il peut y avoir de croissance sans développement mais il ne peut pas y avoir de développement sans croissance.   Le multipartisme était incontournable pour qu’on puisse aspirer vers un système démocratique. Quand on parle de richesses, on dit qu’il n’y est de richesses que d’hommes et de femmes. Est- ce que les Maliens ont été suffisamment outillés pour apprendre, comprendre leurs Droits et leurs devoirs ? C’est pourquoi le premier titre de la Constitution du 25 février 1992, il y a les Droits et devoirs de la personne humaine. A la lumière de la Constitution actuelle fondée sur la sécurité humaine, c’est la personne humaine. C’est pourquoi l’article 1er dit que la personne humaine est sacrée et inviolable. L’enjeu et le défi pour la création de cette richesse hommes et femmes, c’est comment les amener à passer de leur statut de simple personne humaine au statut de bon citoyen.

La Gouvernance des partis politiques de 1992 à nos jours, quel diagnostic qu’on peut poser par rapport à leur Gouvernance ? Le 2e enfant, les élections. Qui dit élection dit régularité. Dans la Constitution actuelle, il est écrit que le Président de la République est élu pour 5 ans, les Députés et les Conseillers nationaux aussi.   Vous voyez comment les mandats débordent et qu’il y a souvent des putschs avec tout ce qu’il y a comme problèmes. Il y a croissance démocratique mais l’enjeu c’est de relever le défi du développement au plan démocratique. Et c’est sur ce plan que je pose la problématique de la révision constitutionnelle en cours.

En quoi ce projet, déjà contesté, viole-t-il la Constitution?

On est en Démocratie. Ce n’est pas la pensée unique. C’est pourquoi on dit que la Constitution est la mère des élections. Il s’agit de se prononcer sur une question importante de la nation par un OUI ou par un NON. Or, toutes les autres élections on vote pour des hommes et des femmes. Mais le referendum c’est exclusivement OUI ou NON sur une question importante. Quand on organise un référendum concernant la Constitution, il y a plusieurs questions importantes sur la table. C’est pourquoi il faudrait prendre le référendum avec des pincettes surtout quand il s’agit de la Constitution.

J’ai été Ministre des Relations avec les Institutions, j’ai eu à piloter avec mon collègue de la Réforme de l’État, au temps du Président ATT, la reforme qui a déjà été adoptée par l’Assemblée Nationale. Les gens pensent qu’une fois que c’est adopté immédiatement le Président de la République va promulguer. Ce qui n’est pas le cas. Après l’adoption par l’Assemblée Nationale, c’est le référendum. Ensuite, ça remonte chez le Président de la République qui doit promulguer. Cela veut dire que le chemin à parcourir est encore tortueux. Le référendum va se tenir dans un contexte où il y a plusieurs autres enjeux et défis. Alors qu’on n’a pas encore tellement terminé avec les élections communales, régionales et locales. Dans un an, nous allons aussi organiser les élections générales. Voilà, tout ce qu’il y a comme problèmes qui sont en train de s’entasser et c’est dans ce contexte que nous comptons relever ce défi de la révision constitutionnelle. Pour bien comprendre, il faudrait savoir que la Constitution est un document politique, juridique et institutionnel. Voilà les trois piliers sur lesquels est fondée notre Loi fondamentale. Chercher à savoir quels sont les pouvoirs dans la constitution ? Le premier pouvoir (pouvoir du citoyen) dans la Constitution actuelle du Mali c’est la personne humaine, le citoyen. On rentre dans une autre dimension qui est l’éducation. La dimension de l’éducation des uns et des autres, de leur intégrité morale de la façon dont ils sont choisis. Est-ce que les électeurs réfléchissent avant de voter? Ce n’est pas la Constitution qui va régler ce problème qui est beaucoup plus profond que cela. Il faut prendre en compte ces trois dimensions (politique, juridique et institutionnelle) par rapport au projet de révision constitutionnelle en marche. Il faut également que le jeu institutionnel soit clair. On dit que la Constitution par nature est virtuelle. C’est comme un papier comme les autres. Je me pose la question plutôt sur l’après Constitution. Aujourd’hui, on a l’une des meilleures constitutions au monde fondée sur la sécurité humaine, les droits et les devoirs de la personne et la libre administration des collectivités. De 1992 à nos jours, où en est notre pays, c’est plus qu’un problème de Constitution. Ce n’est pas la Constitution qui va venir inoculer à quelqu’un le patriotisme. C’est notre éducation. Je pense que c’est le comportement des uns et des autres par rapport à la légalité et à la légitimité.

Qu’est-ce que vous-même, en tant que citoyen, reprochez à la nouvelle mouture de la Loi fondamentale en vue ?

Je suis acteur de la société civile. Je me suis battu pour un certain nombre de causes dont la première c’est de mettre le citoyen au cœur de notre système démocratique. Je l’avais dit bien avant les événements de 2012. Depuis cette date, il n’y a pas eu de remaniement ministériel sans un Département chargé de la construction citoyenne. La deuxième porte sur l’implication des autorités traditionnelles, les chefs de villages, de fractions et de quartiers. En ce qui concerne la création de la Cour des comptes, on est deux pays de l’UEMOA, le Mali et le Bénin, à ne pas avoir les leurs. La création de cette Cour veut dire qu’il va y avoir une juridiction supérieure pour le contrôle des finances publiques. La création de la Cour des comptes est un aspect très important de cette révision constitutionnelle. C’est pourquoi j’ai dit que le référendum c’est OUI ou NON sur une question importante. Mais s’il y a plusieurs questions inévitables, il y aura des quiproquos, des incompréhensions. Cela devient une sorte de problème complexe, dans un contexte où notre pays est confronté à d’autres difficultés. Je ne dis pas que je suis pour ou contre, je suis là pour veiller, expliquer et il revient à chacun, dans sa situation, de prendre la position qui lui semble en phase avec sa propre conscience.

Ne pensez-vous pas que les nouveaux textes n’accordent-ils trop de pouvoir au Président de la République ?

En Afrique, toutes les constitutions découlent de la Constitution française de 1958. Mitterrand avait toujours appelé cette Constitution de 58 le Coup d’Etat permanent. Mais, paradoxalement, quand lui-même est venu au pouvoir, il l’a gardée et a continué avec. C’est pourquoi on dit que tous les Présidents qui sont élus à la lumière des fondations de cette constitution française de 1958, on les appelle des monarques éclairés ou républicains. Pour la simple raison que c’est un système politique qui donne beaucoup de pouvoirs au Président de la République.

C’est l’architecture, l’esprit de cette Constitution française de 1958 dont nos constitutions francophones se sont alimentées qui sont en cause. Si nous voulons changer, il faut que nous soyons nous-mêmes. Ce n’est pas une question de révision constitutionnelle mais il nous faut une nouvelle Loi fondamentale basée sur nos valeurs, nos traditions et autres. Là, nous devons nous démarquer totalement de la Constitution française de 1958.

Le Sénat, est-ce utile ? Les avantages et les inconvénients

Quand j’étais Ministre des Relations avec les Institutions, je me suis battu pour la création du Sénat. J’ai fait beaucoup de campagnes par rapport à cela. Maintenant quels seront les hommes et les femmes qui vont être choisis. Ce ne sont pas des décrets ni des constitutions qui vont régler cela. Par ailleurs, on a l’impression que l’Etat se résume au Gouvernement. Mais, dans la Constitution actuelle, le Gouvernement n’est qu’un élément du pouvoir exécutif. Tant qu’on est dans ce jeu, on ne peut pas s’en sortir. Le Gouvernement n’est pas l’Etat, c’est une institution de la République. Une des deux institutions qui constituent le pouvoir exécutif (Président de la République et Gouvernement).

Ensuite, le Parlement qui va être l’Assemblée Nationale et le Sénat, pour contrôler l’action du Gouvernement. Et il y a également le pouvoir judiciaire qui est indépendant des deux autres pouvoirs. Le jeu institutionnel ne peut être respecté que par la qualité des hommes et des femmes qui seront au sein de ces institutions. 57 ans d’Indépendance, 75% des Maliens ne savent ni lire, ni écrire et ni calculer. On doit s’attaquer à ces questions. Ce n’est pas la Constitution qui va résoudre cet autre problème. C’est un problème de Gouvernance. Ce ne sont pas les constitutions qui font que les pays deviennent émergents. C’est le leadership politique, l’amour du pays, le choix de rester unis et d’être redevable vis-à-vis de soi.

Justement qu’est-ce qu’il faut faire pour changer la donne ?

Il faut mettre la croissance et le développement ensemble. La croissance est déjà atteinte. Maintenant comment faire pour transformer cette croissance sur le chantier du développement. C’est là, le défi majeur.

Réalisée par Salimata Fofana : LE COMBAT

Rédaction

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