Face aux difficultés croissantes du fait de son attitude à s’opposer à la communauté internationale, la junte s’est résolue à laisser accorder un important don alimentaire en faveur de la population par la France, qu’elle n’a pourtant pas cessé de présenter comme l’ennemie absolue du Mali. Contradiction certes, mais surtout signe d’infléchissement ou de … faiblesse !
L’annonce a été faite par l’ambassade de France sur son compte twitter, le vendredi 6 mai au cours d’une cérémonie à la résidence de l’ambassadeur : l’Hexagone accorde un appui de 2,625 milliards Fcfa, soit 4,1 millions de dollars US, en aide alimentaire en faveur de 1,8 millions de personnes « en situation de crise alimentaire en 2022 », est-il précisé dans la publication annonçant cette opération.
La représentation diplomatique de France au Mali a expliqué que « grâce à ce financement, les organisations viendront directement en aide aux populations en difficulté, en distribuant des vivres alimentaires et en appuyant les productions vivrières ».
Silence gêné
Toutefois, l’ambassade précise que cette « nouvelle aide alimentaire » est allouée au PAM Mali, ainsi qu’à Première Urgence Mali et Solidarité Mali, branches locales de deux ONG internationales.
En temps normal, une telle annonce n’attire guère plus l’attention que des seuls acteurs concernés et impliqués dans le domaine de l’humanitaire. Cette fois pourtant, la nouvelle a fait l’effet d’une petite bombe dans l’opinion et quasiment tout le monde a retenu son souffle, attendant une réaction, certainement incendiaire de rejet indigné de la junte malienne. Qui plus est et certainement compte tenu de la tiédeur des relations entre les deux pays, la partie française n’a associé aucune structure étatique à l’octroi de cette aide, colossale par son volume financier, en accordant plutôt sa confiance aux acteurs non-étatiques pour exécuter l’appui alimentaire.
L’annonce de l’appui français, même s’il est localisé, a surpris plus d’un malien. Il faut dire que les relations, extrêmement orageuses entre le Mali et la France a atteint un tel degré de pourrissement que pratiquement tous les aspects de la coopération entre les deux Etats en sont impactés. Le Mali, depuis quelques six mois voire plus, est résolument engagé dans une démarche de rupture totale avec la France et jamais la confrontation n’a atteint un tel niveau depuis près de 60 ans.
Une semaine avant cette annonce, le Mali venait de dénoncer avec fracas les accords de défense qui liaient les deux pays depuis près d’une décennie, rompant ainsi les dernières relations de coopération entre Paris et Bamako.
La rupture des accords de défense était consécutive à la tentative du pouvoir malien d’accuser la France, notamment son armée, d’être coupable d’un charnier comprenant un nombre indéterminé de victimes.
Le pouvoir militaire de Bamako était tombé dans le piège du scénario préalablement décrit et documenté par la France. Celle-ci avait prédit ce qu’elle a qualifié de mascarade, si bien que l’affaire du charnier de Gossi a été un flop magistral, même si le puissant Ministre malien de la défense, le Colonel Sadio Camara, n’a pu s’empêcher, ce mardi 10 mai au cours de sa récente sortie cathodique à la télévision nationale, de tenter d’insister pour toujours charger les forces françaises.
Tout cela survient dans un contexte de détérioration des relations entre le deux, dont les dirigeants ne se sont guère épargnés invectives et noms d’oiseaux depuis le second coup d’Etat du Colonel Assimi Goïta le 26 mai 2021, au point que le Mali avait chassé avec la même brutalité l’ambassadeur français Joël Meyer, expulsé manu militari du pays.
Diplomatie de la sébile
Le silence des autorités militaires, qui n’ont à ce jour pipé mot en réaction à cette annonce de don alimentaire, traduit un certain malaise au niveau du Camp Soundjata où de plus en plus, le réalisme semble l’emporter sur les postures bravaches et les propos incendiaires.
Le porte-parole du Gouvernement, Colonel Abdoulaye Maïga, ministre de l’administration et donc la tutelle des ONG, est resté coi face à l’événement auquel aucun officiel malien ne semble avoir assisté. La junte est confrontée à une évidence : ‘’la montée en puissance des Famas’’ ne rime pas avec la restauration de la sécurité indispensable pour permettre aux populations des zones de cette ‘’montée en puissance’’ de renouer avec les cycles et les activités de vie. Mieux, le passage très remarqué des Famas dans certaines zones d’engagement a davantage bouleversé l’équilibre précaire des relations intercommunautaires et augmenté sensiblement la cohorte des déplacés internes.
Aux diatribes anti-françaises enflammées, la junte a donc opté pour un silence d’autant plus gêné que le Mali dispose de peu d’alternative à cet appui alimentaire, indispensable en faveur des populations démunies du centre et du nord du pays. Les donateurs et autres partenaires humanitaires ne bousculent pas aux portillons maliens, davantage en ce moment où l’asymétrie des engagements et les conséquences des orientations officielles entraînent beaucoup de victimes civiles, parmi la population des zones concernées.
Visiblement, les ‘’instructeurs’’ russes ne suffisent plus à combler les nombreux vides des postures immatures, donnant lieu à des confrontations systématiques avec les partenaires et leur désengagement progressif consécutif.
La France demeure encore et pour longtemps un partenaire incontournable et indispensable pour compenser l’incapacité de l’État à assurer le secours aux populations victimes de la violence armée et en situation d’insécurité alimentaire.
La junte malienne paraît aujourd’hui contrainte donc à la diplomatie de la sébile, en faisant bon cœur contre mauvaise fortune.
Guedjouma Konaté L’ALTERNANCE