Dans l’entretien exclusif qu’il a accordé à France 24 et Rfi, le 10 février
dernier, à Addis-Abeba en marge du sommet de l’Union Africaine qui s’y
tenait, IBK a confirmé qu’il y a bien un dialogue en cours entre l’État
malien et les terroristes. Mais quel dialogue? Ou dialogue pourquoi?Tout
conflit, fut-il le plus sauvage et le plus criminel, peut connaître des
moments où les belligérants, quelque peu lassés de guerroyer, décident
de se parler, soit pour ruser, soit pour tenter de parvenir à une paix des
braves.
C’est un classique. Mais dans le cas de figure qui oppose le Mali
à ses propres fils qui ont pris les armes contre leur propre pays, donc
contre leurs concitoyens, pour des prétentions religieuses, islamiques en
l’occurrence, s’agit-il vraiment d’une volonté de négocier ou d’un
subterfuge politicien pour un pouvoir acculé sur plusieurs fronts de se
donner bonne conscience ? Les Maliens se posent la question et ne
savent pas, en vérité, quoi répondre, sur laquelle des deux hypothèses il
faut fonder l’espoir ou le désespoir. Iyad Ag Ghaly et Amadou Kouffa,
depuis de longues années, font couler le sang des leurs, les civils et les
militaires, en portant leurs coups mortels jusque dans les casernes des
forces armées et de sécurité. Au nom de l’islam, prétendent-ils, pour
instaurer la charia, Loi islamique, sur l’ensemble du Mali, un ensemble
du reste effrité et chancelant. Ce qui est visible de leurs actions qui ne
font que semer la mort, c’est qu’ils tuent et se replient dans des
sanctuaires qui n’ont jamais pu constituer d’émirats propices à
l’instauration de leur administration. Ce sont des tueurs, des chefs de
hordes qui bénéficient de cachettes, et certainement de complicités
protectrices, mais ils ne semblent nullement engagés dans la conquête
d’un territoire donné. Dans ce vaste Mali, même à la souveraineté
éprouvée, tous leurs passages, au centre, au nord, à l’ouest, sont
hérissés de cadavres. Tableau apocalyptique plongeant le pays dans la
terreur permanente. Ibrahim Boubacar Keïta dit, avec emphase, comme
toujours : Nous ne sommes pas des grands candides ni des gens
obtus. Ce qui veut dire qu’il sait pertinemment où il met les pieds, quels
pions il avance sur l’échiquier où fument les cadavres de Maliens.
Solidaire donc de Dioncounda Traoré, son Haut Représentant pour le
centre, lequel a été gentiment conspué par le ministre des Affaires
étrangères lorsqu’il a fait état des négociations entamées secrètement
avec les terroristes, IBK assume donc tout. Parler avec les djihadistes et
lutter contre le terrorisme n’est pas antinomique. J’ai le devoir et la
mission, aujourd’hui, de créer tous les espaces possibles et de tout faire
pour que, par un biais ou un autre, on puisse parvenir à un apaisement.
Il est temps que certaines voies soient explorées. Bien dit et dont acte.
Mais fallait-il attendre tant de temps et tant de sang coulé ? Et puis,
prendre langue avec Iyad et Kouffa, dans une situation où plusieurs
autres courants terroristes écument toutes les traites, au nez et à la
barbe des forces nationales et françaises, produira quels résultats
concrets? Quand les forces françaises annoncent l’élimination de tel ou
tel chefs djihadistes ou de tels groupes terroristes, c’est toujours en
singleton qu’elles ont agi. Allons savoir pourquoi…IBk dit n’être ni
candide ni obtus. Cette belle assurance est à regarder à la lumière du
passé. D’une manière ou d’une autre, l’actuel chef de l’État a traversé la
vie institutionnelle de notre pays en acteur majeur. Tour à tour conseiller
diplomatique à la présidence de la République sous Alpha Oumar
Konaré, période pendant laquelle il a côtoyé Iyad Ag Ghaly,
ambassadeur, ministre des Affaires étrangères, Premier ministre,
opposant, président de l’Assemblée nationale, il connaît bien les
rébellions, les terrorismes qui ont endeuillé le Mali. En a-t-il tiré les bons
enseignements pour attendre maintenant afin d’entamer le dialogue, si
dialogue il y a, avec les ennemis? Iyad Ag Ghaly n’a d’ailleurs pas tardé
à rejeter l’offre de paix, révélant du coup qu’en réalité, il n’y avait aucune
négociation en cours avec lui. Ceci est une histoire à éclairer. Certes, si
accord devait y avoir, les Maliens s’en réjouiraient beaucoup. Même un
mauvais accord, dit-on, est mieux qu’une guerre, surtout celle qui
endeuille à ce point le malheureux État du Mali. Mais Marx disait que
l’histoire ne se répète pas et que, si d’aventure elle se répétait, la
première fois, il s’agit d’une tragédie et la seconde fois d’une farce. IBK
se trouve certainement entre tragédie et farce.
Bocar H. Maïga