La plus récente crise, en 2012, a amplifié le fossé d’incompréhension et de méfiance mutuelle entre certaines communautés au Nord mais aussi entre certaines d’entre elles et l’Etat. Elle a engendré une forme de méfiance entre plusieurs populations, particulièrement celles vivant dans les zones occupées par des groupes armés, ou dans les camps de réfugiés. Le rejet de l’Autre s’est incrusté dans les relations entre ces communautés et parfois en leur sein, entrainant l’accumulation des rancoeurs et rendant plus difficile encore l’exercice du pouvoir. Les rumeurs et la rancune engendrée par des violations impunies nourrissent ce cercle vicieux. La longue occupation des régions du Nord, et les exactions qui s’en ont suivies ont créé chez ces populations un sentiment d’abandon de la part de l’Etat. La faiblesse de ce dernier, voire son absence prolongée sur des parties importantes du territoire, ajoutées au sentiment d’impunité par rapport aux violations graves des droits de l’homme, renforcent ces frustrations, et crée le lit pour de nouvelles exactions ainsi que pour le développement de nouveaux conflits intra et inter communautaires.
A ce jour, bien que les juridictions maliennes soient déjà saisies de nombreux cas de violations graves de droits de l’homme liées à la crise, il semble que la justice pénale seule sera incapable de rendre compte de l’ampleur de ces violations, ni d’expliquer ses causes et ramifications profondes dans l’histoire et la mémoire blessée du Mali. Satisfaire les victimes du passé demandera davantage.
Pour enfin aider le Mali à dépasser cette crise multidimensionnelle, un travail complet de traitement du passé est donc nécessaire : la Nation doit regarder son héritage en face, comprendre son passé pour mieux pouvoir le dépasser. Cet effort de recherche de la vérité, de reconnaissance et de réparation des victimes permettra d’atteindre la réconciliation et de reconstruire tant la confiance des citoyens entre eux, que des citoyens envers leur Etat. C’est même une condition nécessaire pour la poursuite d’un processus démocratique apaisé, tolérant et véritablement républicain.
En effet force est de reconnaitre que notre pays, jusqu’ici, s’est progressivement installé dans une culture du non-dit ; du déni de la vérité ; de l’escamotage de la citoyenneté. En l’absence d’une réelle confrontation au passé, en l’absence d’une véritable mémoire collective qui intégrerait ce passé douloureux, nombre de Maliens n’ont plus conscience d’appartenir à un ensemble collectif national, guidé par une commune volonté de vivre ensemble.
Dans la mesure où une paix juste est une paix durable, nous devons rechercher les causes profondes des différentes crises que le pays a connues afin de réduire toutes les sources d’incompréhensions, d’antagonismes et de rancoeurs. Nous devons identifier les victimes de ces 4
conflits à répétition, les reconnaître et intégrer leur récit à notre mémoire commune, pour nous et pour les générations futures.
La réconciliation visée sera multidimensionnelle : politique, sociale, économique, culturelle, religieuse, ou encore communautaire. Elle ne s’obtiendra, pour être durable, qu’au terme de la mise en oeuvre des quatre piliers de la justice transitionnelle : le droit des victimes à la vérité, à la justice, à la réparation, ainsi que la garantie de la non-récurrence. La réconciliation est donc bien davantage que la coexistence pacifique : elle inclut aussi la reconnaissance mutuelle et l’acceptation des différences de chacun.
C’est dans ce cadre qu’intervient la Commission Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR), prévue par les Accords pour la Paix et la Réconciliation issus du processus d’Alger, et qui selon l’article 2 de l’ordonnance n°2014-003/P-RM du 15 janvier 2014 a pour mission de « contribuer à l’instauration d’une paix durable à travers la recherche de la vérité, la réconciliation et la consolidation de l’unité nationale et des valeurs démocratiques ».
Elle est chargée selon le même texte de :
• enquêter sur les cas de violations graves des droits de l’homme individuelles et/ou collectives commises dans le pays, et spécifiquement celles commises à l’égard des femmes et des enfants;
• mener des enquêtes sur les cas d’atteinte à la mémoire individuelle et/ou collective et au patrimoine culturel ;
• établir la vérité sur les violations graves des droits de l’homme et les atteintes aux biens culturels ci-dessus cités, en situer les responsabilités, et proposer des mesures de réparation ou de restauration;
• créer les conditions de retour et de la réinsertion sociale des personnes réfugiées et déplacées ;
• favoriser le dialogue intra et inter communautaire, la coexistence pacifique entre les populations, et le dialogue entre l’Etat et les populations ;
• promouvoir auprès des communautés le respect de l’Etat de droit, des valeurs républicaines, démocratiques, socioculturelles et du droit à la différence ;
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• faire des recommandations dans le domaine de la prévention des conflits.
Son cadre d’intervention ?
La réconciliation est un objectif multidimensionnel qui passe par un processus complexe et ne peut s’obtenir aux dépens de la justice et de la vérité. Elle suppose une stratégie bien pensée et la conjugaison d’efforts coordonnés et persévérants de la part de plusieurs acteurs de la société, en premier lieu les victimes et les auteurs des crimes. Certains résultats peuvent être atteints à plus ou moins brève échéance, d’autres nécessitent du temps : en effet le temps des mémoires et le temps de la justice sont bien différents du temps politique.
D’où la justification d’un plan d’intervention coordonné de la CVJR qui comporterait les éléments suivants : une vision compréhensive de la paix et de la réconciliation nationale, une compréhension unifiée de son mandat, des choix stratégiques dans sa prise en charge, un cadre organisationnel, ainsi que la reconnaissance des hypothèses et des risques encourus.
Pour obtenir une paix inclusive et durable, se libérer des angoisses et des crimes du passé, toutes les communautés maliennes doivent être impliquées dans le processus de réconciliation nationale. Il s’agit, après avoir été confronté à ses souffrances, de se tourner pleinement vers un avenir serein.
La réconciliation nationale apparait donc comme la condition sine qua non de la stabilisation politico-institutionnelle et de la refondation de l’État.
Confirmant cette intuition, dans son discours d’investiture prononcé le 4 septembre 2013, le Président de la République a pris l’engagement suivant :
« Je veux réconcilier les coeurs et les esprits, rétablir une vraie fraternité entre nous afin que chacun dans sa différence, puisse jouer harmonieusement sa partition dans la symphonie nationale. Je veux rassembler toutes les composantes et toutes les générations de la société malienne, mobiliser les talents, et les efforts en vue de l’avènement d’une société nouvelle basée sur l’Excellence. Je veux rassembler les Maliennes et les Maliens, pour que triomphent la Justice et l’Equité, sans lesquelles il n’est pas d’avenir viable pour une Nation ».
La réconciliation vise donc non seulement le règlement du conflit, mais aussi son dépassement et sa non-répétition. En effet, l’objectif ultime de la réconciliation va au-delà de la reconnaissance des droits de chacun, en visant la construction d’une communauté nationale où vivraient des citoyens libres et égaux, capables d’affronter ensemble une histoire commune faite parfois de violences. Le processus de réconciliation nationale doit donc permettre à chaque partie de se reconnaître mutuellement dans le cadre d’une véritable thérapie collective. Il s’agit 6
ici d’exorciser les peurs pour ne pas recommencer les mêmes erreurs. Chacun, pour cela, doit être capable de reconnaître ses propres torts. La réconciliation suppose le pardon, qui demeure une valeur cardinale de notre société, non pas pour oublier le passé, mais afin de le surmonter et de rendre possible un présent et un futur partagé et moins douloureux.
La réconciliation suppose enfin la reconnaissance de l’Autre dans sa différence et la considération réciproque et tolérante entre les communautés. Elle vise à surmonter les préjugés et à enrayer les logiques discriminatoires. Elle implique le respect des différentes croyances religieuses, de la pluralité des mémoires et des vécus, et le rejet de toute forme d’intégrisme. (partie 1.)
Djibril Mamadou Coulibaly LE COMBAT| lecombat.fr