Comme pour répondre à notre article intitulé, « Augmentation du quota de pèlerins : Le ministre Thierno Hass Diallo s’arroge un mérite irréel », le ministre des Affaires religieuses et du Culte s’est livré à un exercice d’explication frisant le ridicule. C’était dans le JT de 20h du vendredi 17 février 2017. Nullement intéressé à perdre notre temps dans une polémique stérile, nous avons préféré donner la parole à la filière privée d’organisation du Hajj. La présidente de l’Association malienne des agences de voyages et de tourisme (AMAVT), Mme Cissé Fatimata Kouyaté, a accepté de répondre à nos questions pour mieux édifier l’opinion sur l’augmentation du quota de pèlerins maliens, des difficultés de la filière privée, de la nécessité pour le gouvernement d’arrêter d’être juge et partie et de l’avenir du Hajj… Interview.
– Le Reflet : Les autorités saoudiennes ont décidé d’accorder au Mali un quota de 13 300 pèlerins contre 9000 habituels dans les prochains Hajj. Quelle lecture faites-vous de cette augmentation ?
Cissé Fatimata Kouyaté : Cette année les autorités saoudiennes en charge du pèlerinage ont décidé d’accorder un quota de 13 300 pèlerins au Mali, soit une augmentation de 4300 pèlerins par rapport à celui de l’année dernière. Cette augmentation tire sa justification dans la fin des travaux d’extension et de rénovation des sites du Hajj. Ces travaux avaient occasionné la diminution du quota de tous les pays qui envoient des pèlerins sur les lieux saints de l’Islam.
A présent, l’Arabie saoudite est en mesure de recevoir un grand nombre de pèlerins de tous les pays candidats dans le respect des préceptes de notre religion. Les aménagements ont permis le désengorgement des lieux et ont rendu possible la réception d’un plus grand nombre de pèlerins.
– Le Reflet : Le Mali est-il le seul pays bénéficiaire de cette hausse ?
Cissé Fatimata Kouyaté : Le Mali n’est pas le seul pays à avoir bénéficié de cette augmentation. Tous les pays qui l’ont demandé ont été servis à souhait. Tous les pays ont reçu le quota qu’ils ont demandé.
– Le Reflet : Qu’est-ce que cela change par rapport à l’organisation du Hajj ?
Cissé Fatimata Kouyaté : Sur le plan organisationnel, les agences auront plus ou moins le quota souhaité et pourront s’adonner au démarchage de pèlerins de façon plus sereine. Nous craignons les effets de la concurrence déloyale que nous livrera certainement la filière gouvernementale qui est détentrice de l’instrument communicationnel et des moyens de l’Etat.
– Le Reflet : Quel rôle vos agences jouent-elles dans cette organisation ?
Cissé Fatimata Kouyaté : Avant l’arrivée aux affaires du ministre Thierno Hass Diallo, les agences étaient partenaires à part entière de l’Administration territoriale, structure organisatrice du Hajj. Nous sommes même arrivés à mettre en place un cadre de concertation inclusive de toutes les structures concernées par l’activité : ministère de l’Administration territoriale, ministère du Tourisme, ministère de la Sécurité, ministère de la Santé, ministère des Transports, commission d’organisation de la filière privée, etc. Les activités étaient consensuelles pour l’intérêt de toutes les parties.
– Le Reflet : Et aujourd’hui ?
Cissé Fatimata Kouyaté : Il y a une nette velléité à phagocyter les agences de voyages en usurpant leur rôle. En effet, les agences de voyages réunissent les prestations du hajj (transport, hébergement, restauration, encadrement) qu’elles vendent aux pèlerins pour un bon déroulement du Hajj. Une structure étatique ne saurait le faire de façon satisfaisante, car le professionnalisme ne sera pas au rendez-vous.
Aujourd’hui le ministère des Affaires religieuses et du Culte veut user de sa position pour écarter les agences de voyages sans en mesurer les conséquences.
– Le Reflet : En Arabie saoudite, le ministère du Hajj a confié l’organisation matérielle au secteur privé pour se consacrer à la régulation et au contrôle. Au Mali, l’Etat et les agences de voyages sont les organisateurs du pèlerinage. Qu’est-ce qui explique-cela ?
Cissé Fatimata Kouyaté : C’est la plus forte doléance des agences de voyages envers l’Etat. Malheureusement, nous n’arrivons pas pour le moment à avoir une oreille attentive de l’Etat. Il est pourtant temps de laisser les organisateurs privés s’occuper de l’aspect commercial du Hajj pour permettre au gouvernement de mieux assumer sa mission de régulation, de contrôle, de censure et de sanction. L’Etat, dans sa volonté d’être organisateur, ne peut même pas fournir des rapports sur le comportement des organisateurs si bien qu’un article du cahier des charges reste incontrôlable, car le gouvernement est occupé à faire le commerçant.
– Le Reflet : Est-ce que les agences de voyage sont capables aujourd’hui, à elles seules, d’organiser le Hajj ?
Cissé Fatimata Kouyaté : Bien sûr ! Notre vocation est d’organiser des voyages. C’est pour cela que le Hajj est un produit touristique. Il s’appelle tourisme religieux. Même l’Arabie saoudite, pays hôte du Hajj, a donné l’organisation des prestations aux entreprises privées pour se consacrer à la régulation, au contrôle et aux autres aspects organisationnels.
Donc à César ce qui lui appartient. Il faut laisser les agences de voyages faire leur travail créateur de revenus et d’emplois. C’est la filière privée qui paie les frais de la Maison du Hajj à hauteur de 130 millions de F CFA. Ce qui lui permet de justifier sa qualité d’EPA (établissement public à caractère administratif) avec l’autonomie de gestion.
Le pèlerinage n’a aucune raison d’être une activité budgétivore pour l’Etat. Mais, nous ferons ce débat un autre jour, Inch Allah !
Le Reflet : D’habitude la délégation de la mission préparatoire comprend aussi les représentants de la filière privée. Est-ce-que vous savez la raison de votre exclusion de cette mission ?
Cissé Fatimata Kouyaté : Cette année, sur décision unilatérale du Ministre des affaires religieuses, les privés n’ont pas participé à la mission préparatoire contrairement aux autres pays. Même Les partenaires Saoudiens étaient surpris de l’absence des privés. C’est la première fois qu’une situation pareille se produise au Mali…
-Le Reflet : Et pour quelles raisons ?
Cissé Fatimata Kouyaté : Nous n’en connaissons pas la raison, mais ça nous met dans une situation de déficit d’informations pour une meilleure préparation de la campagne du Hadj. Et nous prenons les hautes autorités du pays ainsi que l’opinion nationale de cette exclusion que rien ne justifie. Surtout au moment où le gouvernement œuvre à faire du Partenariat Public-Privé (PPP) une vraie stratégie de développement de notre pays.
Je vous rappelle que l’Assemblée nationale a adopté la «Loi PPP» (Loi n° 2016-06i sur le partenariat public-privé le 16 décembre 2016. Elle a été ensuite promulguée le 30 décembre de la même année par le président de la République. Nous avions tous alors espéré que cette législation allait marquer un nouveau départ dans le renforcement de l’initiative privée à travers un partenariat renforcé entre les secteurs public-privé. Mais, le ministre des Affaires religieuses et du Culte préfère aller à contre-courant de l’Action gouvernementale.
– Le Reflet : Quelles doivent être aujourd’hui la priorité du Mali en matière d’organisation de Hajj ?
Cissé Fatimata Kouyaté : Le gouvernement doit programmer le retrait de l’Etat de l’organisation commerciale du Hajj. Il doit créer une réelle commission d’organisation nationale du Hajj avec un rétro planning fiable et un chronogramme de travail. L’accélération du début des préparatifs, la sensibilisation des populations sur la nécessité à s’y prendre tôt quand on ambitionne de faire le Hajj sont aussi, entre autres, des priorités.
– Le Reflet : Quel appel lancez-vous aux autorités maliennes pour une meilleure organisation du Hajj ?
Cissé Fatimata Kouyaté : La réalisation des priorités doit être l’affaire de tous. L’implication de tous les acteurs concernés doit être un socle pour bâtir une activité à améliorer au fur et à mesure.
Propos recueillis par
Moussa Bolly LE REFLET