La disparition de Mamadou Konaté et de Tiémoko Diarra affaiblit l’aile modérée de l’US-RDA. Celle-ci contenue cependant d’exister, incarnée par des responsables de la première heure. Ces derniers ne sont pas contre l’option socialiste, mais recommandent plus de modération dans sa mise en œuvre. Avec les difficultés économiques que connaît le pays, Modibo Keïta signe, avec la France, des accords monétaires à des conditions très humiliantes. Cela est perçu comme un étau qui se desserre de la part des modérés, comme une capitulation de la part des radicaux. Modibo Keïta va donner à ces derniers des gages de son engagement « révolutionnaire » : avec leur appui, il va éliminer « la vieille garde » du parti et se retrouver, à la veille du 19 novembre 1968, seul maître à bord.
Le Secrétaire Général du Parti, avec leur appui des radicaux du parti, évite de convoquer le VIIè Congrès ordinaire, empêchant ainsi les sections de l’intérieur de venir exposer les difficultés vécues par les militants à la base aussi bien dans les villes que dans les campagnes. En revanche, il prend une série de mesures qui vont éliminer, totalement, de la scène politique, les modérés.
La première de ces mesures est la création, le 1er mars 1966, du Comité National de Défense de la Révolution (CNDR). Elle est décidée par la Conférence des cadres du Parti convoquée à la suite du coup d’État survenu au Ghana. Cette création rend le Bureau Politique National inopérant dans la mesure où le nouvel organe, non prévu par les statuts du parti, est doté des pleins pouvoirs. Aucun modéré n’en fait partie.
En effet, le Comité National de Défense de la Révolution est constitué par le Secrétaire Général du Parti et ceux qu’il lui a plu de coopter ; à savoir : Mahamane Alassana Haïdara, président de l’Assemblée Nationale, Gabou Diawara, Commissaire à la Jeunesse, Mamadou Madéira Keïta, ministre de la Justice et du Travail, le colonel Sékou Traoré, chef d’État Major des armées, Mamadou Diakité, ministre délégué à la Présidence chargé de la Défense et de la Sécurité, Mamadou Famady Sissoko, Secrétaire Général de l’UNTM, Yacouba Maïga, vice-président de l’Assemblée Nationale, Seydou Badian Kouyaté, président de la Commission Économique et Financière du parti, Ousmane Bâ, ministre des Affaires Étrangères, Mama Keïta, du bureau de l’UNTM, David Coulibaly, Responsable du mouvement des Jeunes (J-RDA).
La deuxième mesure est constituée par deux remaniements du gouvernement dont le premier survient le 15 septembre 1966.
Baréma Bocoum, ministre de l’Intérieur et Abdoulaye Singaré, ministre de l’Éducation Nationale ne font plus partie de l’équipe. Hamaciré N’Douré, ministre de la Coopération et de l’Assistance technique conserve le titre de ministre, mais est éloigné du territoire national : il est nommé ministre délégué à la Présidence pour représenter le Mali auprès de la CEE, des royaumes de Belgique et des Pays-Bas, du Grand-duché du Luxembourg, de la République Fédérale d’Allemagne. Oumar Baba Diarra dont le frère Idrissa Diarra, numéro deux du BPN avait perdu toute prérogative au sein du parti avec la création du CNDR, reste au gouvernement avec le titre de ministre du Travail, mais pour dix mois : au réaménagement technique de juillet 1967, il est remplacé par Madéira Keïta qui, du coup, cumule les fonctions de ministre d’État chargé de la Justice avec celui du Travail.
Le second remaniement de l’équipe gouvernementale survient le 7 février 1968. Cible principale de ce remaniement, Jean Marie Koné, celui-là qui, dès la naissance du RDA, a milité avec ardeur pour réussir son implantation dans le Kénédougou.
Le doyen des modérés, très attaché à la terre et aux valeurs ancestrales, continue de siéger au gouvernement dont il n’a cessé d’être membre depuis la période de l’autonomie interne consacrée par l’entrée en vigueur de la Loi-Cadre 1957.
En effet, le très populaire Jean-Marie Koné a été, de 1957 à 1968 : Vice-président du Conseil du gouvernement issu de la mise en œuvre de la loi-cadre, Président du gouvernement de la République Soudanaise, membre de la Fédération du Mali (décembre 1958-avril 1959), Vice-président du conseil, chargé de la Justice et de la Fonction publique (16 avril 1959-25 janvier 1965), ministre d’État chargé de la Justice (25 janvier 1965-166 septembre 1964), ministre d’État sans attribution particulière (16 septembre 1964-15 septembre 1966), ministre d’État , ministre du Plan, de la coordination des Affaires économiques (15 septembre 1966-7 février 1968), ministre du Plan (7 février 1968-18 novembre 1968). Ainsi, il perd son titre de ministre d’État et son rang au gouvernement selon l’ordre de préséance. Il est rétrogradé du rang de numéro deux a à celui de numéro cinq, après Modibo Keïta, Madéira Keïta, Ousmane Ba et Mamadou Diakité. Il reste ministre du Plan mais perd la Coordination des Affaires Économiques et Financières attribuée à Bacara Diallo nommé au poste de Secrétaire Général auprès de la Présidence.
Le 23 juillet, à la faveur d’un aménagement technique, trois ministres délégués à la Présidence sont nommés : Yacouba Maïga, Gabou Diawara et Seydou Badian Kouyaté. Yacouba Maïga est récompensé pour sa fidélité : lors du duel entre Modibo Keïta et Tiémoko Diarra, celui-ci avait obtenu le ralliement des responsables du Nord. L’ascension de Bacara Diallo, de Gabou Diarra et de Seydou Badian consacre l’émergence des jeunes plus idéologues que pragmatiques.
Par conséquent, au terme de deux remaniements du gouvernement et de deux réaménagements techniques, le Président du Conseil, Modibo Keïta, a renforcé son audience sur l’institution en se débarrassant des membres de l’aile modérée du parti.
La troisième mesure qu’il prend, toujours pour renforcer son pouvoir, est le déclanchement de la « Révolution active » le 22 août 1967. Le CNDR, mis jusque -là en veilleuse, va être activé pour assumer la plénitude du pouvoir. Les BPN est dissous. Les sections de l’intérieur sont dissoutes. De nouveaux responsables sont, non pas nommés, mais désignés pour animer les Comités Locaux de Défense de la Révolution (CLDR) qui se sont substitués aux sections et les Comités Révolutionnaires de Base (CRB) créés pour remplacer les comités.
Conséquence de bouleversement anti statutaire : la plupart des anciens responsables se trouvent pratiquement exclus des nouveaux organes dirigeants, obligés de céder la place à ceux qui donnent, à coup de prises de position souvent démagogiques, la preuve de leur radicalisme, de leur attachement à la révolution. Ce renversement d’hommes provoque, à la base, l’émergence et la toute puissance d’individus sans niveau intellectuel, sans formation politique, sans respect pour la tradition. De ces individus font partie les très tristement célèbres miliciens du parti.
Les CLDR, avec l’appui des membres du CNDR en tournée dans les différentes sections, soumettent les caciques du Parti à d’humiliantes séances d’autocritiques au terme desquelles ils doivent se soumettre et supporter les questions peu amères des « militants » avant de présenter leur démission. Ils avaient au préalable, chacun en ce qui le concerne, reçu du CNDR l’instruction de présenter leur bilan en répondant à la question suivante : qu’ai-je fait de mon mandat ?
A l’exception de Mamadou Diarrah, Mahamane Alassane Haïdara et Yacouba Maïga, cooptés au CNDR, et d’Alhousseïni Touré, tous furent éliminés de la scène politique et publiquement humiliés sur commande.
Ainsi, des années 1940 aux années 1960, des hommes et des femmes qui, deux décennies durant, ont donné le meilleur d’eux-mêmes pour assurer l’implantation et le triomphe de l’US-RDA se retrouvent écartés de la gestion des affaires publiques. Ils sont présentés aux populations comme « des essoufflés », « des camouflés » « ceux chez qui la flamme révolutionnaire a pâli ».
Pour rappel, ils ont, pour noms et pour ne citer que les plus illustres : Mamadou Sidibé (Kayes), Soungalo Coulibaly et Idrissa Diarra (Bamako), Birama Sidibé (Kati), Abdoulaye Singaré (Koulikoro), Dramane Coulibaly (Ségou), Baréma Bocoum (Mopti). Se trouve également éliminée de la scène politique celle qui fit reculer le PSP et implanter le RDA à Niono, Gao et à Nara : Aoua Keïta, Présidente de la Commission sociale des Femmes, membre du BPN et député à l’Assemblée Nationale avant le déclanchement de la Révolution active.
La quatrième et dernière mesure est prise le 17 janvier 1968. Il en sera question dans notre prochaine livraison si telle est la volonté du Souverain-Maître-des-Mondes.
A suivre
La Rédaction lecombat.fr