Dans son discours de Nouvel an, le président Ibrahim Boubacar Kéita a annoncé une conférence d’entente nationale et un référendum constitutionnel. Cette dernière reforme doit aboutir à la création d’un Sénat pour, dit-il, le renforcement de l’Etat et de la souveraineté de la Nation. Mais, nous ne pensons pas que le Mali ait aujourd’hui besoin d’un Parlement bicaméral pour mieux renforcer sa démocratie.
Dans son message du Nouvel an, le président Ibrahim Boubacar Kéita a souligné que les leçons tirées de la crise sécuritaire et institutionnelle, qui secoue notre pays depuis 2012, ont mis en évidence «les lacunes et insuffisances» de notre constitution. Ce qui nécessite une reforme constitutionnelle.
Une nécessité imposée également par la prise en compte des réformes prévues dans l’Accord pour la paix et la Réconciliation. Ainsi, IBK promet que, dès l’ouverture de la prochaine session parlementaire, un projet de loi portant révision de la Constitution sera déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale.
Les propositions faites dans ce projet de loi, a assuré le président de la République, visent le renforcement de l’Etat et de la souveraineté de la Nation. «Elles se donnent ensuite comme finalité de fortifier les Institutions de la République en assurant leur permanence et leur continuité, en clarifiant leurs rapports ainsi qu’une organisation rationnelle et efficiente des pouvoirs publics», a annoncé Ibrahim Boubacar Kéita.
Et d’ajouter que «le projet de loi garantira l’indépendance du pouvoir judiciaire, sa séparation du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif, lequel sera renforcé par la création d’une deuxième chambre».
Ainsi, si la révision aboutit, le Parlement malien sera désormais bicaméral, c’est-à-dire composé de l’Assemblée nationale et du Sénat. Et cela pour «le plus grand confort de notre démocratie, une meilleure représentation de nos populations», a justifié le président Kéita.
«Si la révision de la Constitution vise à renforcer l’Etat et la souveraineté, à conforter notre démocratie par le renforcement des Institutions, elle n’en assure pas moins la garantie et le respect des droits et libertés fondamentales reconnus aux citoyens», a poursuivi le Chef de l’Etat malien.
«Le peuple sera l’arbitre ultime du bien-fondé de l’initiative puisqu’après son adoption par la représentation nationale, la Loi fondamentale révisée sera soumise à l’approbation de nos concitoyens par référendum», a promis le président Kéita.
Si les autres arguments évoqués par le Chef de l’Etat pour justifier cette reforme constitutionnelle sont pertinents, nous ne pensons pas que le Mali ait aujourd’hui besoin d’un Parlement national à deux chambres, donc d’une Assemblée nationale et d’un Sénat. Cela ne répond qu’à un mimétisme institutionnel dont l’utilité ne sera qu’une caisse de résonnance de plus pour renvoyer l’ascenseur à certains soutiens politiques encombrants.
Une chambre pour caser la «clientèle politique»
Le Sénat est une institution de la Ve République française (qui inspire l’essentiel des constitutions en Afrique francophone) et forme, avec l’Assemblée nationale, le Parlement français. A ce titre, il vote la loi, contrôle l’action du gouvernement et évalue les politiques publiques. Ses pouvoirs sont fixés par la constitution.
Le Sénat vise surtout, dans le contexte français, à assurer une meilleure représentation des Français et des territoires. Il constitue la Chambre haute du Parlement. En vertu de l’article 24 de la Constitution de la Ve République, il assure la représentation des collectivités territoriales et, avec l’Assemblée nationale, celle des Français établis hors de France.
Organe collégial, le Parlement assure la représentation du peuple et se voit confier deux fonctions : le vote de la loi et le contrôle de l’action gouvernementale qui revient au Sénat. En effet, ce contrôle est sa seconde grande mission. Il s’exerce par des questions, des débats ou des investigations menées par les sénateurs.
Mais, à l’exception du vote d’une motion de censure, les sénateurs ont des pouvoirs identiques à ceux des députés en matière de contrôle du gouvernement. Depuis le 1er mars 2009, une semaine de séance sur quatre est réservée en priorité à ce contrôle, ainsi qu’à l’évaluation des politiques publiques.
Mais, généralement dans les pays africains qui ont un Parlement à deux chambres, les observateurs constatent que le Sénat sert surtout à caser une «clientèle politique». C’est pourquoi, ils (observateurs neutres) ont salué la décision du président Macky Sall du Sénégal de renoncer à sa promesse de ressusciter le Sénat dans son pays.
Une décision motivée par les inondations qui ne cessent de frapper les populations sénégalaises, dakaroises notamment, en hivernage. Ainsi, les 8 milliards de F Cfa qui devaient servir à entretenir les Sénateurs seront injectés dans la réalisation des infrastructures de prévention des inondations.
«La patrie passe avant le parti», s’est-il justifié face à son gouvernement et ses partisans politiques. Comme en France, le Sénat était la Chambre haute du Parlement sénégalais. Créé en 1999, il a été supprimé en 2001, rétabli en 2007 et à nouveau été supprimé en 2012.
Une vraie reforme sans céder au mimétisme
Arrêtons de singer les modèles politiques de l’Occident parce nous n’avons pas les mêmes préoccupations sociopolitiques et économiques. «Une représentation nationale qui s’avère incapable de répondre correctement aux aspirations et aux interrogations légitimes de ses mandants est une représentation nationale en voie de décadence, de laquelle on ne peut rien tirer, ni le gouvernement qu’elle prétend défendre, encore moins le peuple», avait récemment déploré l’honorable Yaya Sangaré (Adema-PASJ, majorité) dans l’une de ses nombreuses tribunes sur les réseaux sociaux.
«…Quand des élus du peuple souverain ferment les yeux sur les problèmes les plus cruciaux qui se posent à leur pays (insécurité, mal gouvernance, pilotage à vue), nous nous trouvons inéluctablement face à des élus atteints de cécité intellectuelle et morale et à des gens malheureusement moribonds», avait-il ajouté.
Malheureusement, l’Assemblée nationale du Mali s’est installée dans «une posture de refus systématique d’apporter sa déterminante contribution à la résolution des problèmes des Maliennes et Maliens».
Cela pose plutôt la question de la moralité et de l’intégrité de nos élus. Et ce n’est pas une reforme constitutionnelle qui va changer cela d’autant plus que rien ne garantie que les Sénateurs seront plus responsables que les députés.
A quoi alors bon accroître les charges du budget national avec des institutions qui ne seront que l’ombre d’elles-mêmes en privant le pays de ressources vitales pouvant servir à réaliser des infrastructures sociales de base ?
Au Sénégal par exemple, avec 8 milliards, on peut moderniser les moyens de production d’un village et le mettre sur la voix de l’auto-développement ! Et cela en plus d’endiguer les raisons des fréquentes inondations.
Ce n’est pas le mimétisme institutionnel qui permettra à la démocratie malienne d’atteindre la maturité pour le bien être des citoyens. Si la révision constitutionnelle est aujourd’hui une impérieuse nécessité, la création de nouvelles institutions ne l’est pas.
Et si reforme il y a, elle ne doit pas porter sur de nouvelles institutions, mais plutôt viser à renforcer et à optimiser celles existantes comme le Haut Conseil des Collectivités territoriales (HCCT).
Tant que ceux qui ont entre les mains la gestion de ce pays ne prennent pas conscience de leur responsabilité et de leurs missions pour les exercer avec rigueur et intégrité, la multiplication des institutions ne pourra jamais être une garantie pour la mise en œuvre d’une «gouvernance vertueuse, sobre, transparente et de rupture» !
Moussa Bolly Journaliste LE REFLET