En rejetant sa défaite, Gbagbo a-t-il perdu une occasion historique d’affirmer sa grandeur ? Il était une fois la fiction politique… L’auteur Jean-Louis Sagot-Duvauroux réagit à l’actualité de la crise ivoirienne et écrit pour J.A. un texte dans lequel il imagine ce que le président sortant Laurent Gbagbo aurait pu dire à l’annonce des résultats de l’élection présidentielle du 28 novembre dernier. Bonne lecture !
« Abidjan, le 1er décembre 2010
Mes chers compatriotes,
La Commission électorale indépendante vient de me remettre son décompte des résultats de l’élection présidentielle. M. Alassane Dramane Ouattara y est crédité de 54,1 % des suffrages. Avant de vous indiquer quelle est la conduite que je me fixe dans cette circonstance, permettez-moi de vous rappeler les conditions très particulières dans lesquelles j’ai été amené à exercer le pouvoir suprême.
Élu en 2000, j’ai tenté de mettre en pratique les idéaux qui depuis l’origine ont guidé mon engagement politique : souveraineté effective de la Côte d’Ivoire, avancée vers une plus grande autonomie économique, souci des besoins sociaux, respect d’institutions démocratiques essentielles comme le multipartisme ou la liberté de la presse… Ma politique s’est heurtée à l’hostilité des grandes puissances, qui, avec le Premier ministre Alassane Ouattara ou le président Henri Konan Bédié, s’étaient habituées à une Côte d’Ivoire docilement soumise à leurs intérêts. La rébellion militaire de 2002 aurait dû être réduite avec le concours de la France, si ce pays avait respecté l’accord de défense qui le liait à nous. Mais cet accord avait été signé avec d’autres et pour d’autres buts que la souveraineté de l’État ivoirien. Ces forces étrangères furent au contraire utilisées pour entériner la division du pays. Par nécessité et pour ne pas aggraver les tensions, j’ai tenté de faire avec. J’y ai mis, c’est vrai, cette adresse que vous me reconnaissez quand vous me donnez le sobriquet de « boulanger ». Je ne me repens pas d’avoir, comme vous dites, « roulé mes adversaires dans la farine ». J’ai au contraire le sentiment d’avoir répondu, avec les moyens qui me restaient, au mandat du peuple.
Je me suis également attaché à rétablir des conditions à peu près acceptables pour une élection libre et démocratique. M. Alassane Ouattara avait été écarté des scrutins précédents sous l’effet d’une loi électorale rédigée sur mesure par son nouvel ami Henri Konan Bédié. Il a pu cette fois se présenter et faire campagne sans entraves. Je connaissais pourtant sa vertu démocratique à géométrie variable : Premier ministre, il m’avait fait emprisonner pour délit d’opinion ! Confiant dans les vertus démocratiques de la controverse, je me suis soumis à l’exercice d’un débat télévisé en direct. Et vous êtes allés voter.
Maintenant, que faire ? Beaucoup, dans mon entourage, me suggèrent de refuser un résultat dont tout indique qu’il force la réalité. Le président du Conseil constitutionnel me propose d’annuler le vote de plusieurs départements soumis à l’intimidation des Forces nouvelles. La pression frénétique de la France, des USA et du panier de crabes nommé « communauté internationale » me donne à penser que l’étranger tient beaucoup à l’investiture de l’accommodant M. Ouattara. Ces interventions m’inciteraient plutôt à ne pas m’incliner…. »
Youssouf Sissoko
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