Acquisition d’un aéronef et de fourniture aux forces armées maliennes de matériels roulants, d’Habillement, de Couchage, de Campagne et d’alimentation (HCCA)
Le Contexte et les motivations :
En 2013, au constat du sous-équipement de l’armée, le Président de la République a décidé de doter l’armée en moyens (équipements, tenues).
À l’époque, les ressources de l’État ne lui permettaient pas de réaliser cette ambition. Il fallait alors avoir recours à un fournisseur qui pouvait assurer la fourniture des équipements et les matériels et qui acceptait d’être payé sur trois (3) ans avec un différé.
La conclusion du marché :
Un intermédiaire fut indiqué au ministère de la Défense par la Présidence de la République. Bien que cette instruction devait être sans discussion, car venant du Chef suprême des armées, le ministère de la Défense a néanmoins exigé un mandat écrit, qui fut donné par la Présidence de la République sous la signature du Directeur de Cabinet (Mandat en date du 5 novembre 2013).
Comme habituellement le ministère de la Défense passait les marchés du genre sous le chapitre de l’article 8 du Décret n° 08-485 du 11 août 2008 portant procédures de passation, d’exécution et de règlement des Marchés Publics et des Délégations de Services Public (Code des Marchés Publics) qui met hors du champ d’application dudit code les marchés couverts par le secret défense.
Les deux marchés ont consisté en l’acquisition d’un aéronef, de matériels roulants, d’Habillement, de Couchage, de Campagne et d’alimentation (HCCA).
L’aéronef a été acquis à 36 750 000 US dollars et les matériels à 69 183 396 474 FCFA dont 35 116 529 474 FCFA pour les matériels roulants et 34 066 867 000 FCFA pour les matériels HCCA.
Avant la conclusion du marché, le Ministre de l’Économie et des Finances a pris le soin de requérir l’avis de la Direction Générale des Marchés Publics et des Délégations de Service Public, seule Administration chargée de juger de la légalité et de la conformité à priori des marchés publics.
Dans sa réponse, objet de la lettre n° 00149/MEF-DGMP-DSP du 19 décembre 2013, celle-ci a indiqué que les marchés pouvaient bel et bien être passés sous le chapitre de l’article 8 du Décret n° 08-485 du 11 août 2008 portant procédures de passation, d’exécution et de règlement des Marchés Publics et des Délégations de Services Public (Code des Marchés Publics).
Les contrôles
La dépense au titre de l’avion n’ayant pas été budgétisée et n’apparaissant ainsi pas dans le Tableau des Opérations Financières de l’État (TOFE), les partenaires ont demandé une enquête.
C’est ainsi que le Bureau du Vérificateur Général (BVG) et la Cour suprême ont été commis, et ont procédé chacun de son côté à des investigations et rendu rapport.
Le Bureau du Vérificateur Général :
Dans son rapport du 27 octobre 2014, elle a relevé des manquements, a conclu à des irrégularités et a retenu des infractions.
Selon lui les irrégularités financières s’élevaient à 28 549 901 190 FCFA, dont 24 120 371 247 FCFA de surfacturation, 349 548 538 FCFA de montant indument payé à SKY COULOUR, 1 028 039 063 FCFA au titre du favoritisme.
Mais, le BVG a décidé de dénoncer à la Justice la somme de 12 422 063 092 FCFA, dont 9 350 120 750 FCFA au titre de la fraude, 2 633 093 436 FCFA et 438 848 906 au titre de la fraude fiscale.
La Cour Suprême :
Dans son rapport en date du 15 septembre 2014, signée d’un membre de la Section administrative et de deux de la Section des comptes, elle n’a pas tiré les mêmes conclusions que le BVG pour dire ainsi qu’elle n’a pas dit qu’il y a eu irrégularités et n’a donc pas retenu d’infractions.
Bien au contraire, elle a affirmé que les marchés étaient sous-tendus par les textes en vigueur en République du Mali et a fait le constat que certains textes régissant les finances publiques souffraient de vide juridique.
Elle a en substance conclu que « Les opérations d’acquisitions de l’aéronef, des équipements et matériels militaires :
Sur le plan de la légalité, sont sous-tendues par des textes en vigueur en République du Mali;
Cependant, sur le plan règlementaire, les dispositions de certains textes sont violées à savoir : les paiements sans ou avant ordonnancement ; l’emprunt ; et le visa du Contrôle financier.
D’une manière générale, la mission a constaté que certains textes régissant les finances publiques souffrent de l’existence d’un vide juridique, à savoir : l’absence d’orientation sur les textes complémentaires à prendre ; l’absence de prise ou de prise avec beaucoup de retard des textes d’application assortis des lois et décrets ».
La question se pose alors de savoir pourquoi plus de crédit et tant de privilèges sont accordés aux conclusions du Vérificateur Général, une Autorité administrative indépendante, au détriment de celles de la Cour Suprême, une Institution, juge suprême au Mali et siège du juge des Comptes.
La phase judiciaire: La phase judiciaire du dossier a connu deux aspects, un aspect pénal et un aspect civil.
Sur le plan pénal:
Les enquêtes préliminaires :
Des informations judiciaires ont été ouvertes en France et au Mali.
Le principal intéressé, Soumeylou Boubèye Maïga, ministre de la Défense et des Anciens Combattants à l’époque des faits a été entendu à Paris où il a fait une garde à vue de deux (2) jours.
La Justice française qui ne peut pas être soupçonnée de partialité et d’être sous influence a décidé de classer le dossier sans suite.
Soumeylou Boubèye Maïga et certains autres protagonistes ont été entendus à l’unité d’enquêtes du Pôle économique du Parquet de Bamako.
Ces enquêtes, à la clôture des investigations, ont fait l’objet du Procès-verbal n° 016/BER-PEF du 11 avril 2015.
La justice malienne, à travers le Parquet près le Tribunal de Grande Instance de la Commune III du District de Bamako, chargé du Pôle Economique et Financier de Bamako a décidé, elle aussi de classer le dossier sans suite, suivant l’Avis de classement sans suite du 23 novembre 2018.
Le classement sans suite est la décision prise par un magistrat du parquet de ne pas donner suite à une affaire, conformément au principe d’opportunité des poursuites.
Les principaux motifs sont l’absence d’infraction ou la prescription.
Le dossier de l’acquisition d’un aéronef et de fourniture aux forces armées maliennes de matériels d’Habillement, de Couchage, de Campagne et d’alimentation (HCCA) n’était pas prescrit.
L’on doit donc comprendre qu’il n’y avait pas d’infraction.
Ces différents classements sans suite ont indiscutablement disculpé et blanchi les mis en cause.
Par la suite, certains ont estimé que le dossier devait être rouvert. Cela a été fait en 2019 sur instructions écrites du ministre de la Justice.
Cette réouverture a été une première dans l’histoire judiciaire du Mali.
En tout cas, elle a été irrégulière, donc illégale, comme l’a constaté la Cour suprême au regard des conditions qui l’ont entouré, qui étaient critiquables et contestables. En effet, aux termes de la loi n° 01-80 du 20 août 2001, modifiée par la loi n° 2013-016/ du 21 mai 2013 portant Code de procédure pénale, un dossier classé sans suite ne peut faire l’objet que de recours, à savoir une plainte avec citation directe devant le Tribunal correctionnel en matière de délit ou une plainte avec constitution de partie civile en toute matière devant le Doyen des Juges d’instruction, ce conformément aux articles 63, 62 et 64.
Comme disposé à l’article 53 du ce Code selon lequel « Lorsque le procureur de la République classe une plainte sans suite, il doit adresser un avis de cette décision dans un délai de huit jours au plaignant. Cet avis comporte notamment le motif du classement sans suite, la référence du numéro sous lequel l’affaire a été portée au registre des plaintes, l’indication des voies judiciaires qui restent ouvertes à la partie plaignante.
Cette prescription a été observée par le Procureur de la République. En effet, l’Avis de classement sans suite du 23 novembre 2018, a révélé au Directeur Général du Contentieux de l’État, la partie civile, qu’il lui restait ouvertes » « les voies de plainte avec citation directe devant le Tribunal correctionnel en matière de délit ou de la plainte avec constitution de partie civile en toute matière devant le Doyen des Juges d’instruction de céans pour faire valoir vos droits et, ce conformément aux dispositions des articles 63, 62 et 64 du Code de procédure pénale ».
Ainsi, bien que n’étant pas le plaignant, donc ne pouvant légalement pas poursuivre la réouverture du dossier, le ministre de la Justice, s’il voulait que le dossier soit rouvert, ne pouvait et ne devait que suivre les voies de recours indiquées par l’Avis de classement sans suite qui s’impose à tous.
Par ailleurs, les droits des mis en cause ont été violés, car ils n’ont été informés ni personnellement ni par personne interposée de la réouverture du dossier et de surcroît de la désignation d’un juge d’instruction. Or, la loi n° 01-80 du 20 août 2001, modifiée par la loi n° 2013-016/ du 21 mai 2013 portant Code de procédure pénale dispose clairement à son article 1 que « La procédure pénale doit être équitable, contradictoire et préserver l’équilibre des droits des parties », et surtout à son article 2, à propos de la personne suspectée ou poursuivie que « Elle a le droit d’être informée des charges retenues contre elle et d’être assistée d’un conseil ».
Le procureur a ouvert une information et le dossier a été confié à un Juge d’instruction. Celui-ci a enquêté et a décidé que les mis en cause devaient comparaître devant la Haute Cour de justice pour certains et devant la Cour d’assises pour d’autres.
Les décisions :
Au regard de la violation manifeste de la loi, certains actes de procédure ont été annulés d’abord par la Cour d’appel de Bamako (Arrêt n° 209 du 21 avril 2020) et tous les actes ont par la suite été annulés par la Cour suprême (Arrêt n° 13 du 15 mars 2021).
Ce qui met fin, et définitivement, au dossier de l’acquisition d’un aéronef et de fourniture aux forces armées maliennes de matériels d’Habillement, de Couchage, de Campagne et d’alimentation (HCCA).
Sur le plan civil :
La Cour d’appel de Bamako a condamné par deux fois l’État du Mali à payer au fournisseur son dû (Arrêts n° 027 du 25 janvier 2018 et n° 302 du 24 mai 2018).
Quelques observations :
Parce qu’il n’y a pas eu de détournement que la Cour Suprême (à travers la Section administrative) a, dans le même dossier, condamné l’État du Mali à payer à la société Guo Star Mali Sarl la somme de 25 990 006 510 (Arrêts n° 027 du 25 janvier 2018 et n° 302 du 24 mai 2018).
Les marchés pouvaient bel et bien être conclus sur le fondement de l’article 8 du Code des Marchés Publics en raison du secret-défense qui les entourait comme l’a indiqué dans sa lettre n° 00149/MEF-DGMP-DSP du 19 décembre 2013 la Direction Générale des Marchés Publics (DGMP).
Aucune loi ou aucun autre texte ne traitait du secret-défense en matière de marchés publics. Ainsi, au regard de ce silence ou de ce vide juridique, le champ d’application du secret défense était à rechercher dans les textes qui en disposaient. Et le seul qui traitait le secret Défense était le Code pénal (Loi n°01-79 du 20 août 2001) selon l’article 36 duquel « Seront réputés secrets de la défense nationale pour l’application du présent Code :
1° les renseignements d’ordre militaire, diplomatique, économique ou industriel qui, par leur nature ne doivent être connus que des personnes qualifiées pour les détenir, et doivent, dans l’intérêt de la défense nationale, être tenus secrets à l’égard de toute autre personne ;
2° les objets, matériels, écrits, dessins, plans, cartes, photographies ou autres reproductions, et tous autres documents quelconques qui, par leur nature, ne doivent être connus que des personnes qualifiées pour les manier ou les détenir, et doivent être tenus secrets à l’égard de toute autre personne, pouvant conduire à la découverte de renseignements appartenant à l’une des catégories visées à l’alinéa précédent ;
3° les informations militaires de toute nature, non rendues publiques par le gouvernement et non comprises dans les énumérations ci-dessus, dont la publication, la diffusion, la divulgation ou la reproduction aura été interdite par une loi ou par un décret pris en Conseil des Ministres ;
4° les renseignements relatifs soit aux mesures prises pour découvrir et arrêter les auteurs et les complices de crimes ou de délits contre la sûreté de l’État ».
Ainsi, la notion de secrets de défense avait un éventail très large et recouvrait tout ce qui concernait l’armée et la sécurité.
L’imprécision et la non-limitation du champ du secret de la défense nationale ont été implicitement confirmées par le BVG quand il parle de vide juridique et quand, paradoxalement, il recommande au ministre de la Défense et des Anciens Combattants de « définir les critères et les modalités de gestion des informations classifiées secret de la défense nationale » et au ministre chargé des Finances de « faire adopter un texte règlementaire déterminant la liste des dépenses exclues du champ du CMP » et de « faire adopter un texte règlementaire définissant les procédures spécifiques applicables aux commandes publiques exclues du champ d’application du CMP » (page 44).
Au jour du rapport du Vérificateur Général, c’est-à-dire en octobre 2014, 90% des matériels avaient été livrés et un (1) franc n’était encore sorti des caisses du Trésor public.
Ce qui n’a été contesté par personne.
Ainsi, le Vérificateur Général ne pouvait valablement et raisonnablement pas parler de détournement si tant est que cette notion désigne l’appropriation de fonds.
Au Mali, on ne saurait parler de surfacturation d’autant plus que l’Ordonnance n° 07-25 du 18 juillet 2007 portant organisation de la concurrence institue la liberté totale des prix et interdit les prix pratiqués (articles 2 et 4).
La surfacturation n’existe ainsi pas et n’est pas une infraction au Mali, aussi bien au regard de cette ordonnance que du Code pénal.
Ce qu’a compris le juge d’instruction quand il ne l’a pas retenu comme cette infraction.
Fakoro Coulibaly