Certes, le chef de file de l’opposition malienne, l’honorable Soumaïla Cissé, sa famille, son parti et tous ses alliés, sont dans une douloureuse épreuve. Mais c’est toute la république qui se trouve aussi prise à la gorge et qui suffoque. Singulièrement, l’affaire est une épine dans les pieds d’Ibrahim Boubacar Keïta, chef de l’État.
Plusieurs raisons mettent IBK en première ligne pour les efforts indispensables à déployer afin d’obtenir la libération de Soumaïla Cissé des mains de ses ravisseurs. L’infortuné est le chef de file de l’opposition parlementaire qui plus est, deux fois challenger d’IBK, régulièrement en 2013 et en 2018. En plus, clé de voûte des institutions républicaines, le chef de l’État est le garant de la constitution, de l’intégrité du territoire national et de la sécurité de chaque citoyen. C’est à ce titre qu’il préside le Conseil Supérieur de la Défense Nationale, en plus d’être le président du Conseil Supérieur de la Magistrature. Il s’ y ajoute que c’est IBK qui a tenu, mordicus, au mépris bouleversant des réactions bien pensées de l’ensemble de la communauté internationale face à la pandémie du coronavirus, à organiser les législatives du 29 mars en jurant, la main sur le cœur, que tout sera mis en œuvre pour les sécuriser. Ce qui se révélera être, à défaut d’un gigantesque mensonge, une maousse défaillance. Soumaïla Cissé est ainsi devenu une proie recherchée, puis capturée sur la dernière ligne de la campagne pour ces législatives. Avant lui, d’autres responsables politiques avaient reçu la visite d’assaillants très mal intentionnés.
SILENCE PESANT D’IBK
Mais le problème, c’est qu’au moment où le peuple malien tout entier se sent humilié, voire cocu, dans l’enlèvement de l’honorable Soumaïla Cissé, le président de la République, dans son adresse à la nation malienne dans la nuit du 25 au 26 mars, alors qu’il était parfaitement informé du rapt de celui qui fut longtemps son ministre de l’économie et des finances quand il était lui-même Premier ministre, n’a pas eu ne serait-ce qu’un petit mot de compassion à son endroit. Attitude impensable dans la pensée sociale malienne. Pour les uns et les autres, c’est que Soumi Champion devenu le rival politique d’IBK, celui-ci en est arrivé à nourrir contre lui une haine viscérale. De là à penser que le président de la République ne serait pas tout à fait étranger à l’enlèvement du chef de file de l’opposition, beaucoup n’ont pas hésité à le murmurer dans divers salons et mieux de rencontre populaire. Les commérages sont même allés à ce point culminant qui donne la prise de Soumaïla Cissé par la bande d’Amadou Kouffa comme faisant partie d’un plan concerté entre IBK et la France dans le cadre d’un agenda caché. En clair, pour décapiter pour de bon toute opposition capable de s’opposer résolument à l’organisation d’un futur référendum constitutionnel désormais à portée de main, pour réaliser enfin la partition souhaitée du Mali.
LA SÉCURITÉ D’ÉTAT A-T-ELLE TREMPÉ ?
Des hypothèses, farfelues ou plausibles, ont pu être émises çà et là. Ainsi, c’est la Sécurité d’État, qui aurait engagé des agents sur le terrain de la circonscription électorale de Niafunké pour saboter la campagne de Soumaïla Cissé afin d’empêcher la réélection de l’enfant du pays; et que, en désespoir de cause, c’est elle qui aurait finalement indiqué à la Katiba Macina l’itinéraire du député sortant. La saison des soupçons au sommet de l’État est en tout cas ouverte. Vouloir incriminer la Sécurité d’État revient tout simplement à indexer IBK lui-même à la colère publique. Le silence de ce dernier, dans son adresse à la nation à l’heure chaude des faits, sur l’infortune de son rival politique plaidera longtemps à sa défaveur.
LA PISTE SBM
Puis, une certaine presse affirme, de manière plus ou moins subtile, que IBK soupçonne plutôt son ancien ministre et non moins ancien Premier ministre, Soumeylou Boubèye Maïga, d’être d’une manière ou d’une autre mêlé à l’imbroglio qui tenaille désormais la république. Depuis, là aussi, l’imaginaire populaire cherche les bonnes raisons à une telle suspicion. Homme de réseaux, Soumeylou Boubèye Maïga, qui a été en son temps un patron des services de renseignements (Sécurité d’État) particulièrement redouté, passe pour être un homme de tous les coups bas, narcissique et sans état d’âme. Or, SBM, contrairement à IBK qui a refusé par son silence à Soumaïla Cissé l’expression de la solidarité, est passé au QG de campagne du désormais malheureux premier responsable de l’Urd afin de témoigner son soutien et sa disponibilité à parvenir à la libération du chef de file de l’opposition. On se souvient que, quelques semaines après sa démission forcée de la tête du gouvernement sous une forte poussée populaire, le président de l’Asma-CFP avait tenu à réserver à Soumaïla Cissé sa toute première visite en se rendant à son siège le 29 avril 2019. Les deux hommes avaient alors révélé une parfaite convergence de vues quant à l’avenir du pays, et même convenu d’une collaboration franche et victorieuse. La visite circonstanciée de SBM au siège de Soumaïla Cissé ces derniers jours aurait donc mis IBK hors de lui-même au point qu’il aurait instruit à des agents officiels de tout faire pour éloigner son ancien Premier ministre du dossier d’enlèvement du chef de file de l’opposition. Plus loin, il aurait donné des ordres pour que la procédure judiciaire contre Soumeylou Boubèye Maïga dans l’affaire sulfureuse des surfacturations pour l’acquisition des équipements militaires. Vrai ou faux, cette affaire classée sans suite vient en tout cas de connaître une réouverture spectaculaire. Mais IBK se serait-il allé à un coup de colère jusqu’à réclamer l’accélération d’une poursuite judiciaire, laquelle doit obéir à des règles claires et ne manquera surtout pas d’éclabousser son propre proche entourage? Les jours prochains ne manqueront certainement pas de révéler des cadavres dans des placards dont seuls IBK et SBM connaissent les emplacements.
Seydou Tounkara