Par ailleurs, dans le cadre des relations militaires entre le Mali et la France, cette dernière a mis fin le 13 juillet 2014 à l’opération française Serval, qui a été remplacée par l’opération française “Barkhane”, plus large de lutte contre le terrorisme au Sahel, qui a mobilisé des milliers de militaires français dans le cadre du nouvel Accord de coopération de défense signé le 14 juillet 2014 entre les deux États. Cet accord instaure de fait la tutelle honteuse des militaires français sur l’armée malienne qui est encadrée par des détachements militaires français. En outre, la France a pu obtenir du Mali et des Nations Unies que Barkhane agisse indépendamment de la MINUSMA sur le territoire malien si bien que le peuple malien qui est censé être protégé par ces forces étrangères ne sait pas ce que Barkhane fait exactement dans le nord où l’insécurité et le terrorisme armé n’ont pas été réduits.
Excellence,
vous vous imaginez sans doute que l’Accord d’Alger est difficilement applicable d’autant plus qu’il n’a fait l’objet d’aucun contrôle juridique démocratique (de la part de la Cour constitutionnelle par exemple) et que la loi du 30 mars 2016 organisant les Autorités intérimaires de cet accord n’était pas conforme aux dispositions de la Constitution du 25 février 1992, leurs membres étant nommés sans existence légale et non pas élus, le pouvoir local et régional étant désormais dévolu aux groupes armés avant leur cantonnement et désarmement, avec la complicité des Nations-Unies et des États occidentaux. Cet accord n’a de surcroît fait l’objet d’aucune consultation du peuple malien !
Excellence, il y’a ainsi lieu de soutenir tous les mouvements et manifestations politiques des dernières semaines contre l’Accord d’Alger, qui in fine vise à la partition du pays, notamment quand il accorde des quotas dans la fonction publique aux ressortissants du nord et dans le recrutement au sein des Forces armées et de sécurité au nord, ceci se traduisant par une « ethnisation » et une régionalisation de l’armée nationale, qui sont contraires aux dispositions de la Constitution de 1992. Comment les Maliens peuvent-ils accepter que l’État central octroie 40% de ses revenus aux régions du nord qui peuvent directement signer des conventions avec les partenaires extérieurs pour l’exploitation des ressources nationales selon les dispositions de cet Accord ? Je me réjouis que dans votre discours à la nation le 22 septembre 2019, jour du 59ème anniversaire de l’indépendance, vous ayez ouvert pour la première fois la possibilité de revoir cet Accord d’Alger tout en gardant l’esprit.
Excellence, aujourd’hui nous vivons un vrai dilemme politique, idéologique et religieux au Mali : i) les forces militaires étrangères (Barkhane et MINUSMA) n’ont pas la volonté de coordonner leurs interventions sur le terrain; ii) les Forces militaires du G5 Sahel n’ont pas reçu mandat de coordonner ces forces étrangères, tout en dépendant chaque année des pays et fonds étrangers pour boucler leur financement; iii) les populations sahéliennes se sentent outrageusement occupées par ces différentes forces armées étrangères; iv) l’insécurité et le terrorisme armé ne pourront pas être éliminés par ces différentes forces non coordonnées par l’État malien, notamment face aux diverses stratégies non conventionnelles d’adaptation, de mobilité et de recomposition incessantes appliquées par les groupes rebelles et les mouvements djihadistes sur le terrain, où l’État est généralement absent et/ou perçu comme illégitime ; v) les djihadistes ont accru leurs attaques terroristes dans le nord, notamment sous l’instigation depuis 2017 du nouveau Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans
(GSIM, dirigé par Iyad Ag Ghaly qui n’a pas été associé à l’Accord d’Alger) et d’autres djihadistes ont lancé une nouvelle rébellion dans le centre du Mali (Région de Mopti) en désorganisant l’armée parleurs attaques, l’administration publique, le système judiciaire et le secteur scolaire sous la direction, semble-t-il, du prédicateur peul Amadou Koufa, qui serait membre du GSIM et voudrait instaurer un État théocratique salafiste dans la Région de Mopti ; vi) la stratégie de ce mouvement djihadiste au centre du Mali est de diviser et d’opposer militairement les groupes ethniques (notamment dogonons et peuls) et de se substituer à l’État pour régler les problèmes socio-économiques et judiciaires des populations locales en vue d’instaurer cet État théocratique; vii) du fait de la déstabilisation politique au nord et au centre du Mali et de l’insécurité subséquente instaurées par les groupes rebelles et les mouvements djihadistes armés, depuis 2012 des dizaines de milliers de personnes ont fui ces zones
(120.000 selon les organisations humanitaires) en direction d’autres régions du pays et à l’étranger, entraînant la chute de l’économie agricole et rurale locale et multipliant les problèmes socio-économiques des parents et de ceux qui les reçoivent dans ces autres régions et à l’étranger et ; viii) la presse malienne dénombre plus de 6.000 morts civils et militaires de 2013 à 2018.
Dans votre volonté d’instaurer la sécurité et de ramener la paix au Mali, vous avez organisé, en mars 2017, une Conférence d’entente nationale (CEN) à Bamako dans le cadre de l’application de cet Accord d’Alger, qui a regroupé les membres du gouvernement, les représentations des partis politiques de la majorité, ceux de la société civile et ceux de la « Plateforme » (groupe rebelle allié à l’État), mais qui a été boycotté par les partis de l’opposition, les syndicats et la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA) qui a participé in fine sous la pression de la MINUSMA). Préparée par M. Baba Hakhib Haïdara, Médiateur de la République, cette CEN a édicté des recommandations en vue de l’élaboration future d’une « Charte d’entente nationale » à travers la constitution prochaine d’un comité d’experts et de sages qui réfléchira sur la question de l’Azawad politique et celle de l’insécurité dans le centre du pays (Région de Mopti). Excellence, dans la pratique cette CEN n’a pas débouché sur des résultats tangibles pour les raisons avancées ci-dessus.
En août 2019, vous avez lancé l’organisation d’un Dialogue politique inclusif (DPI) dont les travaux préparatoires sont actuellement en cours au niveau communal, et bientôt au niveau des Cercles et des Régions sous la facilitation de M. Baba Akhib Haïdara, ancien ministre et actuel Médiateur de la République du Mali, M. Ousmane Issoufi Maïga, ancien Premier ministre et Mme Aminata Dramane Traoré, ancienne ministre. Malheureusement, les grands partis de l’opposition (excepté le PAREMA qui a rejoint votre majorité) et une partie de la société civile ont décidé de ne pas participer à ce DPI, estimant que leurs points de vue n’ont pas été pris en compte dans les termes de référence du dialogue. Ceux-ci estiment qu’à travers le DPI, votre agenda caché est d’aboutir in fine à l’application de l’Accord d’Alger, ainsi qu’à la révision de la Constitution de 1992 que vous n’aviez pu réaliser en juillet 2017.
Excellence, votre DPI a ainsi de fortes chances d’aboutir à un échec sans la participation de l’opposition et d’une partie de la société civile dans une situation où la sécurité n’est pas acquise au nord et où la rébellion s’intensifie au centre du pays avec une extension sur le Burkina Faso voisin.
Excellence, du côté du Niger, le Président Mahamadou Issoufou a clairement déclaré dans son interview à l’hebdomadaire Jeune Afrique (N° 3057/3058 du 11-24 août 2019, page 42) que : «…il est sûr que le statut de Kidal, au Mali, nous pose problème. Kidal est un sanctuaire pour les terroristes, et ceux qui nous attaquent s’y replient souvent. Kidal est une menace pour le Niger et il faut impérativement que l’État malien y reprenne ses droits ». Cette menace sécuritaire a amené le Président du Niger, actuel Président en exercice de la CEDEAO, à réunir un Sommet extraordinaire des Chefs d’État de la CEDEAO, étendu aux Présidents de la Mauritanie et du Tchad, sur le thème du terrorisme, à Ouagadougou le 14 septembre 2019, qui a affirmé la pleine souveraineté du Mali sur l’ensemble de son territoire et adopté un budget d’un milliard de dollars US pour lutter contre le terrorisme sur la base d’un Plan d’action régional de 5 ans (2020-2024). Excellence, présent à ce Sommet, vous avez adhéré à ce plan d’action qui est certainement destiné à éradiquer le terrorisme dans toute la bande saharienne et sahélienne africaine (dont la zone de Kidal) de façon régionale.
Excellence, en attendant que ce plan d’action démarre en 2020, la population malienne n’a cessé d’exprimer son mécontentement à l’égard des forces militaires étrangères, dont la MINUSMA devant la base de laquelle les populations (notamment les épouses de militaires qui refusent le déploiement de leurs maris sur le front) ont manifesté à Sévaré le 12 octobre 2019 pour dénoncer la présence de ces forces étrangères au Mali et leur inertie face à la situation sécuritaire dans le centre du pays (le communiqué circulé ce jour par M. Yaya Sangaré, Porte-parole du gouvernement, a signalé que les manifestants ont pu accéder au camp de la MINUSMA où ils ont saccagé des dépôts et vandalisé une cinquantaine de conteneurs remplis de matériels, dont 9 conteneurs et 2 véhicules ont été incendiés).
Incapacité de résoudre les problèmes économiques et sociaux du peuple malien
Excellence, comme vous le savez, la croissance de l’économie malienne qui a été de 5,3% en 2017 et de 5% en 2018, avec un risque de plafonnement à 5% en 2019, n’a pas amélioré l’indice du développement humain (IDH) pour les populations face à la croissance démographique de 3,9% par an d’une part, et du fait des effets négatifs de la corruption et de la délinquance financière mentionnée supra d’autre part. Cette croissance économique est très fragile, basée essentiellement sur l’exportation de l’or et du coton égrainé dont les prix mondiaux sont imprévisibles et non maîtrisables sur le plan national. Le déficit des entreprises publiques comme l’EDM (qui est déficitaire du fait de mauvaise gestion, de corruption et de la vente du kilowatt en dessous de son coût réel) n’améliore pas la situation. Les bonnes mesures de facilitation du développement de l’entreprenariat privé sont handicapées par la grande corruption de la part d’agents publics qui sont chargés des relations avec cet entreprenariat, corruption que M. Mamadou Sinsy Coulibaly, Président du Patronat malien n’a cessé de dénoncer et de tenter d’éradiquer en donnant à l’État une liste de nombreuses personnes responsables de cette corruption à sanctionner et/ou licencier, tout en demandant une digitalisation de l’administration publique pour réduire la corruption.
Excellence, vous n’ignorez pas non plus que les caisses du Mali sont vides sur le plan budgétaire public et que les régions du nord et du centre produisent de moins en moins de richesses du fait de l’insécurité et du terrorisme qui ont fait fuir à Bamako et vers le sud du pays les agents des impôts et des douanes qui ne produisent plus de recettes. Les caisses étant vides, les secteurs de la santé, de l’éducation et de l’administration publique soit végètent, soit sont asphyxiés, rendant tout développement humain très difficile. Ceci est particulièrement le cas pour les écoles privées qui reçoivent difficilement la subvention budgétaire que l’État doit leur octroyer conformément à la loi.
Excellence, la situation des enfants maliens en particulier est dramatique comme cela a été souligné par l’UNICEF en août 2019 : plus de 150 enfants ont été tués lors d’attaques terroristes et plus de 75 enfants ont été blessés dans le premier semestre de 2019 et, quelque 377.000 enfants mineurs ont besoin de protection au Mali. Le recrutement et l’utilisation d’enfants par les groupes armés ont doublé par rapport à la même période en 2018, et plus de 900 écoles sont restées fermées du fait de l’insécurité selon l‘UNICEF, qui ajoute qu’au fur et à mesure que la violence s’intensifie au Mali, les enfants courent un risque croissant d’être tués, blessés ou recrutés comme enfants soldats par les groupes armés.
Appel à votre démission de la Présidence de la République
Excellence, compte tenu de votre incapacité politique notoire révélée aux quatre niveaux analysés ci-dessus, je réitère mon appel de vous voir démissionner de la Présidence de la République dans les brefs délais, pour parer, non pas à un putsch que vous avez évoqué supra, mais à une révolte multiforme ou une révolution populaire aux conséquences sociales imprévisibles, du genre de la révolte qui a balayé le régime monopartite détesté de M. le Président Moussa Traoré.
En effet, Excellence, la gronde sociale s’amplifie dans toutes les régions du Mali, que ce soient du fait du manque de paix, de l’insécurité, de routes nationales et régionales inutilisables bloquant les échanges économiques et la mobilité humaine, du refus des épouses des soldats de voir leurs maris envoyés au front sans espoir de retour, des nombreuses personnes et enfants tués par les rebelles notamment dans le centre du pays, des dizaines de milliers de déplacés et de réfugiés suite aux affrontements militaires dans le nord et le centre du pays, du risque gigantesque de famine pour les nombreuses populations ne pouvant pas s’adonner aux activités agricoles, rurales et artisanales, de la fermeture de centaines d’écoles, de centres de santé et d’administrations publiques et privées hypothéquant l’avenir des enfants et la vie des populations, des grèves passées et prévisibles des divers personnels de la santé, de l’éducation et de l’administration publique , etc, etc, etc !!!
Excellence, rassurez-vous : votre démission ne sera pas une catastrophe pour le Mali dont les dignes filles et fils s’organiseront en conséquence pour mettre en place un pouvoir politique provisoire conformément à la Constitution de février 1992, qui lanceront de nouvelles élections présidentielles et législatives, en vue de mettre fin à l’illégalité actuelle de l’Assemblée Nationale et d’entamer au plus vite les réformes politiques, économiques et sociales indispensables pour construire une nouvelle vie malienne, exempte de corruption et éprise de paix, d’entente et de solidarité.
Excellence, vous êtes bien l’un des descendants des Mansaré Kéïta, fondateurs de l’Empire du Mali en 1230, dont l’un des héritiers au pouvoir, Bata Mandé Mori (celui qui est parti sur l’eau en mandinka), appelé Aboubacari II par les historiens arabes, a volontairement quitté le pouvoir impérial pour partir, en 1312 à partir de l’actuelle Gambie, dans une expédition dans de nombreux bateaux dans l’objectif de traverser l’océan atlantique et de découvrir les terres qui se trouveraient de l’autre côté de cet océan, acte que certains traditionalistes et griots mandingues n’ont pas accepté et refusent encore aujourd’hui de chanter les louanges de cet empereur qui serait indigne de renoncer à ses obligations royales et d’abandonner son pays dans une situation vulnérable à l’époque pour aller à l’aventure. Cependant, cet abandon du pouvoir est un acte noble et justifié pour les raisons suivantes données sous forme d’interrogations par le dramaturge feu Gaoussou Diawara : i) pure curiosité intellectuelle sous la pression de la surpopulation supposée de l’époque pour découvrir de nouvelles terres ; ii) esprit d’aventure et de conquête du peuple mandingue pour explorer de nouvelles routes commerciales et développer les échanges commerciaux avec d’autres peuples ; iii) arrivée de l’islam dans l’empire dont il voudrait s’échapper et ; iv) désir humain de vouloir s’évader de la réalité royale du moment (cf.Gaoussou Diawara, Abubakari II, Explorateur mandingue, Éditions La Sahélienne, mars 2010).
Excellence, en démissionnant de votre Présidence de la république, vous serez une digne réplique de Bata Mandé Mori qui n’a pas démérité en abandonnant volontairement le pouvoir impérial comme vous ne démériterez pas à votre tour en abandonnant le pouvoir républicain à quelques 707 ans d’intervalle, tout en vous évadant de la réalité républicaine du moment présent ! Que la sagesse l’emporte chez vous, car après le pouvoir, il y’a la vie !
Bamako, le 15 octobre 2019
Par Mahamadou Maïga, Docteur d’État ès sciences économiques de l’Université de Paris-1-Panthéon Sorbonne (14 avril 1976), économiste chercheur à l’IDEP à Dakar (1972-1976), économiste à l’OMVS à Dakar (oct. 1976-oct. 1977), professeur d’économie à l’IPD à Douala (1978-1979), Chef de l’Unité de planification du CILSS à Ouagadougou (1979-1982), fonctionnaire international de la FAO pendant 22 ans (déc.1982-mars 2005). Consultant auprès de la BAD, du DRN/UE, du PNUD et du FIDA.
madouga2003@yahoo.fr
NB : les titres et le chapeau introductif sont de la Rédaction