De la nomination, le 22 avril 2019, de Dr Boubou Cissé au poste de Premier Ministre au dévoilement, le 5 mai courant, de l’équipe gouvernementale qu’il aura la charge de diriger, il s’est passé deux semaines. Un temps symptomatique au regard de la situation exsangue du pays.
Il ne s’agit point de frapper d’anathème une équipe qui n’a même pas encore rejoint ses bureaux pour prendre ses fonctions. Mais le contexte périlleux que vit le Mali depuis de longs mois n’incite guère à l’optimisme au regard du nombre élevé de portefeuilles octroyés comme à la criée.
Dans tous les pays du monde où la conscience citoyenne est aiguë, dans un contexte de heurts politiques et surtout de crises économiques réelles, on recourt toujours à un Gouvernement de taille réduite, resserré autour d’objectifs majeurs pertinents, de sorte qu’il n’y ait ni de divagations d’efforts ni de gaspillages de deniers publics.
De toute évidence, ce souci majeur n’a pas été celui du Président Ibrahim Boubacar Kéïta et de son nouveau Premier Ministre, le sixième en six ans (un autre record symptomatique depuis l’arrivée d’IBK aux affaires en 2013). Que n’a, donc, été la stupéfaction, voire le désarroi de nombre de Maliens, d’apprendre que le nouveau Gouvernement compte 39 membres, avec la particularité du portefeuille de Ministre de l’Économie et des Finances demeuré jalousement sous les ailes du Premier Ministre, poste qu’il détenait avant sa nomination à la primature. Ce n’est sans doute pas la première fois dans l’Histoire qu’un Chef de Gouvernement garde dans son giron un autre Ministère stratégique. Mais, vu la plaie béante et puante qui a caractérisé la gouvernance au Mali ces dernières années, le fait que Dr Boubou Cissé décide de garder la haute main sur l’économie et les finances, en ne voulant tout simplement pas affecter le portefeuille à quiconque, révèle que la grande affaire du pouvoir, c’est l’argent ; pire qu’il y a quelques choses de pourri au Royaume de Danemark. Ce n’est pas que le pays manque d’Économistes et de Financiers de haut vol capables d’apporter au plus vite l’embellie, en initiant des solutions idoines pour rectifier les dérives, déjà sues et pointées méticuleusement, afin de remettre les indicateurs économiques au vert pour le bonheur du plus grand nombre. Que non! Une certaine vérité veut que tous les pans importants de l’Économie nationale se trouvent malheureusement sous les seules fourches caudines de « Boua et famille », pour utiliser l’expression populaire de dépit des Maliens. Ce n’est pas tout. Dr Boubou Cissé a une claire conscience de tous les manquements à l’orthographe financière et les multiples hold-up sur les secteurs vitaux de notre Économie, tous assauts prédateurs opérés par des délinquants à col blanc qui fréquentent régulièrement les allées du pouvoir. Plutôt, donc, que de chamboulements dramatiques aux conséquences juridiques fâcheuses, il vaut mieux s’assurer le contrôle du domaine en le couvrant de son large manteau; car, on n’est jamais mieux protégé que par soi-même.
Certes, la République, claudicante et atteinte de toux, vient d’avoir un Gouvernement, mais c’est un attelage hyper pléthorique dont l’efficacité surprendrait plus d’un. Avec 39 Ministères, il sera d’abord budgétivore, expansif jusqu’à l’étranglement. Il s’y ajoutera un réel problème de coordination. Dr Boubou Cissé a beau avoir les reins solides et l’intelligence affinée, il se trouvera au four et au moulin pour coordonner les activités de la quarantaine de Ministères, et pour peu de temps, sa sueur de boulanger hyper actif dégagera vite une odeur irrespirable.
Là n’est pas le moindre handicap. Le Gouvernement enregistre l’arrivée de deux vieux chevaux de retour, en l’occurrence Tiébilé Dramé et Oumar Hamadoun Dicko qui, c’est certain, ne manqueront pas d’être des personnages verbeux et bagarreurs soucieux d’affirmer leur petite importance. D’ailleurs, leur retour aux affaires atteste le partage du gâteau que nos concitoyens avaient tant redouté. On a même observé avec ahurissement, dans la salle, lors de la signature de l’Accord politique qui leur a ouvert la porte du Gouvernement, un Dicko emphatique jusqu’à ennuyer, mais applaudi frénétiquement par un Dramé dans une effervescence enfantine. En ce dernier, le Chef de file de l’opposition, l’Honorable Soumaïla Cissé, pleure-t-il déjà le départ de son ancien Directeur de campagnes venu d’un attelage en panne? Le temps le dira.
Dans le même registre où tout a l’air de signifier que la composition du nouveau Gouvernement a été effectivement un festin avec des convives de choix, l’arrivée de Moussa Boubacar Bah comme Secrétaire d’État auprès du Ministre de l’Éducation Nationale Chargé de la Promotion et de l’Enseignement Bilingue, relève d’une gymnastique de retour d’ascenseur au mouvement Sabati. La mission de son Secrétariat est formulée avec un flot artistique par l’épithète « bilingue » qui donne à penser qu’il doit faire la promotion de la langue arabe, ce qui est une sorte de clin d’œil à la communauté musulmane. Mais Moussa Boubacar Bah est-il un tant soit peu qualifié pour gérer la promotion de la langue arabe dans le moule de l’Éducation Nationale ? Et puis, parlant de « bilingue », l’anglais se trouvera-t-il relégué au fond des tiroirs crasseux ou faut-il corriger en parlant de « trilingue » ?
Il y a un troisième cheval de retour, plus jeune que Dicko et Dramé, qui participe au festival de mange-mil. C’est Housseini Amion Guindo dit Poulo. Sa logique pourrait tout simplement être d’empêcher à son parti de disparaître dans un trou noir.
Il faut noter que deux autres personnalités fortes font leur entrée dans le nouveau Gouvernement:
Boubacar Alpha Bah dit Bill et Michel Hamala Sidibé. Le premier est un Politicien qui a toujours manqué de chance pour jouer les rôles prépondérants auxquels il s’attendait, le second vient de l’ONU-Sida où il était le patron, mais où malheureusement il faisait face à quelques accusations.
En ce qui concerne Soumeylou Boubèye Maïga, il peut se consoler d’avoir dans le nouvel attelage gouvernemental deux proches au moins : l’ancien Ministre Lassine Bouaré et le nouveau Ministre des Domaines de l’État et des Affaires Foncières, Alioune Badara Berthé.
Côté Assemblée Nationale, certains Députés ont fait le saut dans le Gouvernement, fuyant l’épreuve de la fin de leurs mandats en juin prochain.
Les 100 jours à venir serviront de baromètre pour l’avenir. Au moins pour savoir si l’Accord politique portera des fruits ou s’il ne se révèlera avoir été qu’un gigantesque bluff.
Bogodana Isidore Théra LE COMBAT