Dans un Blog intitulé « Le Mali sous tutelle de la « communauté internationale »: une impasse ! », Joseph Brunet-Jailly évoque les dossiers dangereux pour la reconstruction de l’Etat du Mali qui depuis 2012 traverse une crise sans précédent. Ces dossiers sont entre autres le processus de la régionalisation et la mise en place des autorités intérimaires qui s’établit avant tout désarmement et tout cantonnement, contrairement aux principes de l’Accord pour la Paix et la réconciliation. Il parle aussi de la régionalisation.
Dans ce Blog, M. Brunet-Jailly explique que la démocratisation, est remplacée par la dévolution du pouvoir local et régional aux groupes armés avant tout cantonnement et tout désarmement. Autrement dit, «ce sont des hommes en armes et les comparses qu’ils auront adoubés qui vont être installés, avec la bénédiction de la « communauté internationale », à la gestion des collectivités territoriales des cinq régions du Nord». Elles y auront en particulier la tâche de préparer les listes électorales et d’organiser les futures opérations électorales et référendaires. Le représentant de l’Etat dans la région sera flanqué de deux conseillers spéciaux, désignés par les mouvements armés, le représentant de l’Etat dans les cercles et arrondissements d’un seul. Pour lui, on ne saurait être plus clair, la présidence algérienne du comité de suivi de l’accord impose dès aujourd’hui au Mali, par les nouvelles dispositions concernant les autorités intérimaires, une partition de fait de l’Etat, puisque les collectivités territoriales seront gérées différemment au Nord et au Sud.
- Brunet-Jailly, explique que par ce principe, la présidence algérienne impose aussi un complet démantèlement de l’Etat. Car, dans l’état actuel de l’encadrement des collectivités territoriales, confier à ces dernières la gestion de l’enseignement (sauf le supérieur), de la santé, de l’hydraulique rurale, de l’élevage et de la pêche, de l’industrie, du commerce, de l’artisanat, des transports, etc., c’est à l’évidence jeter le manche après la cognée. Pour lui, cette revendication des groupes armés, formulée initialement par eux dans l’Accord subsidiaire signé début avril entre les groupes armés et un ministre, avait alors paru excessive. «Mais elle est reprise dans l’Entente en son article 3, comme si aucun des signataires n’était conscient de la difficulté de la tâche de décentralisation, alors que le simple bon sens a toujours plaidé pour un transfert très progressif » souligne-t-il. De même, le caractère immédiatement exécutoire des décisions des autorités intérimaires, signifie en pratique que l’Etat n’aura aucun moyen de rattraper des décisions inconsidérées.
Il avoue que dès le début du mois de février 2016, les élus du Nord s’étaient inquiétés de l’élaboration en cours d’une loi organisant des autorités transitoires dans le Nord, alors que moins d’un an plus tôt, une loi du 16 avril 2015 avait prorogé le mandat des organes des collectivités jusqu’à la tenue des prochaines élections communales et régionales. Ces élus jugeaient inopportune la mise en place d’autorités transitoires. Mais le projet du gouvernement a néanmoins été adopté en conseil des ministres et votée par l’Assemblée, après que les députés de l’Opposition eurent quitté la salle. Certes, le texte de l’Entente, signé à la mi-juin 2016, précise que les membres des anciens conseils pourront être nommés, mais ils ne le seront que s’ils sont choisis par les groupes armés qui n’ont pas déposé les armes et qui ne sont pas cantonnés.
- Brunet-Jailly, indique aujourd’hui que les dés sont jetés. Il restera cependant à tirer les conséquences de l’article 2.3 de l' »Entente », qui prescrit que pour être nommé dans une autorité intérimaire, il faut être éligible. « Va-t-on considérer que les hommes qui ont pris les armes contre leur pays, et qui ne les ont même pas encore déposées, sont éligibles avant d’avoir été jugés ? Quel exemple donne l’Assemblée nationale en votant de payer des arriérés de salaires à des députés déserteurs ? Il ne sera donc pas difficile de faire passer les membres des groupes armés pour agents des services déconcentrés de l’Etat, membres de la société civile ou conseillers sortants. Où sera la vérité, où sera la justice, où sera la réconciliation ? Quel homme politique peut oublier ce qu’a montré la dernière enquête Afrobaromètre, à savoir que 87% des Maliens pensent que les personnes impliquées dans des violations des droits de l’homme devraient se voir interdire d’occuper des postes élus ?», se pose-t-il comme questions dans son blog.
Pour lui, c’est que l’article 2.3 n’est là que pour apaiser les doutes des parrains étrangers de la négociation, et uniquement dans ce but, car chacun sait qu’il ne sera pas respecté : l' »Entente » donne ainsi dès ses premières lignes l’exemple de ce que sont les parodies diplomatiques. La réalité est que, s’il était si important, aux yeux des groupes armés, d’installer les autorités intérimaires avant de cantonner, c’est parce que ces groupes voulaient obtenir à la fois la légitimité d’un acte du gouvernement et la garantie offerte sur le terrain par leurs troupes encore armées. C’est exactement ce que leur accorde l' »Entente » du 12 juin 2016. «Mais l’Etat en sort à nouveau mutilé tant par le progrès vers la partition que par le mépris affiché des principes de vérité et de justice » fait-il savoir.
L’approfondissement de la décentralisation
Sur ce plan, M. Joseph Brunet-Jailly, souligne qu’au Mali, la décentralisation décidée en 1992 par le président Konaré hérite sans doute d’abord de la nécessité de rompre avec trois décennies de néo-patrimonialisme. Mais elle hérite aussi d’une mode occidentale de l’époque, engendrée par l’échec social des ajustements structurels. Il y a également l’exportation de la démocratie et enfin d’expériences originales, notamment celle des associations villageoises créées dans le cadre de la stratégie de développement local de la CMDT. Pour lui, ces influences sont certainement plus fortes que les références plus ou moins mythiques à la structure décentralisée des anciens empires ou à la charte du Manden. Même si on peut trouver dans ces influences des arguments susceptibles de nourrir des discours efficaces dans l’opinion. Et surtout la combinaison de la décentralisation avec la démocratie électorale était une innovation dont la réalisation ne pouvait résulter que d’un long processus. Cependant, la décentralisation doit être comprise pour ce qu’elle est : un affaiblissement du pouvoir central. Il rappelle que le Mali a accepté ce risque en 1992 à l’issue de presque trente années de régimes autoritaires. Et cela dans l’espoir que la libération démocratique permettrait d’arbitrer localement entre les intérêts concurrents et de régler les conflits au plus près de leur origine, tout en laissant l’Etat se concentrer sur ses fonctions régaliennes et sur la nécessaire redistribution entre régions. «Cette dynamique s’est rapidement essoufflée après le départ de son initiateur et la période ATT a tourné le dos aussi bien à la décentralisation qu’à la démocratisation» indique-t-il. Ainsi, dit-il, «les ressources et le pouvoir de décision sont restés concentrés à Bamako, le progrès vers la démocratie a été remplacé par le consensus monnayé en espèces sonnantes et trébuchantes, les partis politiques ne s’intéressant qu’à la distribution des avantages du pouvoir».
Dans ce contexte, l’accord pour la Paix et de Réconciliation et l' »approfondissement de la décentralisation », appelée encore régionalisation, témoignent du cynisme de la médiation et de la naïveté des participants étrangers aux discussions. Dans ce Blog, M. Brunet-Jailly, ne ménage pas l’’Algérie qui pour lui, «s’est assuré d’avoir au sud un voisin pas encore officiellement partitionné mais affaibli pour plusieurs générations, et la communauté internationale a fait semblant de croire aux vertus d’une démocratie réduite aux campagnes électorales organisées par les agences de communication». Comme quoi, «la place est libre pour une colonisation des régions du Mali, de plus en plus nombreuses, petites, impuissantes, par des intérêts privés ou maffieux, nationaux ou étrangers ». Pour lui, la « communauté internationale » ne peut pas ne pas le voir, ne peut pas ne pas le savoir, mais elle ne fait rien et le Mali, lui-même, semble tétanisé devant cet avenir inéluctable et que les groupes armés puissent prétendre que « la stabilité et la paix dans le Sahel passent par une gestion autonome par les populations locales azawadiennes de tous les aspects de la vie aussi bien politique, économique que sécuritaire » montre simplement qu’ils n’ont rien appris des mésaventures du MNLA : que la roche tarpéienne est proche du Capitole. Comme pour dire que «les honneurs et la célébrité n’empêchent pas la déchéance ou la chute d’arriver».
Pour lui, les projets de création de nouvelles régions fleurissent comme l’Alata, le Tilemsi. Alors qu’ont déjà été créées en 2012 la région ethnique, arabe, de Taoudénit et celle de Ménaka, après la région de Kidal. «Et en même temps, sans le dire, le Mali prétend faire fonctionner cinq niveaux de démocratie à savoir le village, la commune, le cercle, la région et la nation. Le peut-il donc, alors que les groupes armés se partagent le terrain et le pouvoir ? « Quelle illusion !» conclu-t-il amèrement.
Dieudonné Tembely
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