Il est arrivé comme un messie. Il a été, selon lui-même, « plébiscité » par 77% des Maliens. Trop d’espoirs ont été placés en lui. Il a semblé, par ses discours aux relents populistes, sous-estimer la lourdeur de la tâche présidentielle. Trois ans après, la réalité est là. Promesses non tenues ; pilotage à vue ; clientélisme, cacophonie au sommet de l’Etat ; dépenses de luxe, crise de confiance entre les partenaires et le Mali, scandales à répétitions, népotisme,.. Bref, tout ce qu’il faut pour faire dégringoler la côte de popularité d’un Président.
Le dimanche 4 septembre, Ibrahim Boubacar Kéïta a bouclé ses trois ans à la tête du Mali. Dans un quinquennat, c’est assez pour faire un bilan. Le regard rétrospectif sur ses trois dernières années nous permet de dresser un tableau pas à la hauteur des attentes. Même s’il ne faudrait pas ignorer que le coup d’Etat et la transition mouvementée qui ont précédé l’élection d’IBK avaient fini de mettre le Mali à genou.
«C’est par sa capacité à surmonter les défis et obstacles qu’on reconnait une grande nation», a-t-on coutume de dire. Le Mali, à travers l’élection réussie de 2013, a démontré à la face du monde qu’il reste digne de l’empire qui a porté le même nom. Il venait de concrétiser la sagesse populaire qui dit : «Le bateau Mali peut tanguer, mais ne chavire jamais». C’était un pied de nez à ceux de l’intérieur et de l’extérieur qui, comme des oiseaux de mauvais augures, prédisaient déjà le chaos avant l’heure.
Cette élection fut, selon des observateurs, la plus démocratique du Mali indépendant avec un taux de participation record.
A l’arrivée, c’est Ibrahim Boubacar Kéïta du Rassemblement pour le Mali (RPM) qui est sorti vainqueur du duel du second tour face à Soumaïla Cissé du parti de la poignée de main (URD).
Soutenu par son parti, des mouvements religieux (Sabati 2012), des militaires (les putschistes), des regroupements de partis politiques, des Maliens de l’intérieur et de l’extérieur de tout bord, IBK a, selon lui même, été «plébiscité » par 77% des Maliens. Un pourcentage qui est le reflet de la confiance placée en l’homme pour aider le Mali à se remettre sur pied et entamer sa marche vers le développement.
Présenté par ses communicateurs, son entourage et via ses discours comme un homme de poigne, de rigueur, d’impartialité, il n’a pas eu fort à faire pour être vu comme le seul candidat dans le pléthore à même de redonner au Mali ses lettres de noblesse et son lustre d’antan.
Mais, à peine le quinquennat entamé qu’on sentait de sa part des signes d’essoufflement, qui se sont traduits par des pertes de vitesse et des décisions et choix décriés.
La composition du premier gouvernement n’a pas répondu aux attentes combien grandes de changements que le Mali voulait en l’élisant. Formé en majorité par des caciques des défunts régimes, il était dirigé par Oumar Tatam Ly, un jeune technocrate mais très éloigné de la réalité malienne. Ce dernier, pour sa part, devait veiller sur la bonne marche des complexes pourparlers entre l’Etat et les groupes armés du Nord dans les 60 jours qui ont suivi l’élection d’IBK comme prévu par l’accord de Ouaga.
A ce premier choix assimilé à une erreur de casting de sa part, IBK n’a pas rompu avec certaines pratiques qui ont conduit à la perte du Mali. Il s’agit surtout du favoritisme. Celui qui, au lendemain de son élection avait rassuré les Maliens qu’il n’y aura pas de «partage de gâteau», n’a visiblement pas tenu promesse eu égard aux nombreuses nominations de proches et membres de famille à des postes stratégiques de l’Etat.
Ce qui a fait dire à une certaine presse et à des citoyens que le slogan de campagne d’IBK «Le Mali d’abord» a été tronqué contre «Ma famille d’abord».
En plus de ces ratés, IBK est devenu un globe trotter. A ce jour, l’on comptabilise 99 voyages à son actif hors du Mali, contre moins d’une dizaine dans le pays profond.
Sa manie de répondre au coup par coup et souvent de s’attarder sur des «ragots» de grins n’était pas aussi pour arranger les choses dans un pays où la situation va de mal en pis.
Cette communication hachée et mal conduite pourrait expliquer la difficulté qu’a le locataire de Koulouba, pardon de Sébénicoro, en a faire qu’à sa tête. En tout cas, la lettre de démission d’Oumar Tatam Ly est assez explicite sur la volonté de l’homme à vouloir tout contrôler, tout seul et assigner à ses collaborateurs des rôles de figurants ou de seconds couteaux.
Le remplacement de ce dernier par Moussa Mara vaut aujourd’hui des regrets à la population.
Son choix en son temps n’a pas fait l’unanimité. Les plus sceptiques, à commencer par les membres de son parti (RPM), sont allés jusqu’à dire que les ambitions présidentielles de Moussa Mara étaient incompatibles avec le poste de Premier Ministre. Les faits sont là et, malheureusement, leur donnent raison.
Par son entêtement, il a fait perdre la Région de Kidal à l’Etat. Une Région pourtant acquise suite à des négociations houleuses ; contrairement aux Régions de Tombouctou et Gao.
Une situation qui met le Mali en position de faiblesse lors des pourparlers. L’on a la preuve avec les accords de paix issus du processus d’Alger. Malgré sa signature, l’Etat peine à les faire appliquer. Les maitres du jeu semblent autres que l’Etat. Rien d’étonnant quand on sait sa posture sur la table de ces négociations. Aujourd’hui, le régime d’IBK se rend comptable de compromissions. Il s’agit de libération sans jugements des criminels et terroristes qui ont, durant des mois, semé l’effroi au sein des paisibles citoyens du Nord pendant l’occupation.
Nous n’allons pas nous étendre trop sur les scandales de l’avion présidentiel, des 1000 tracteurs, des engrais frelatés, du marché de gré à gré de plus de trois milliards passé pour l’acquisition de matériels militaire. L’année 2014, qui a été classée par IBK comme celle de la lutte contre la corruption, a vu prospérer la pratique. Les fuites des sujets d’examens du DEF et du BAC sur fond de magouilles, les résultats des enquêtes ouvertes pour situer les responsabilités et sanctionner les fauteurs restent méconnus des citoyens. Le gouvernement qu’on change comme des chemises, le cafouillage des logements sociaux, crises sociales, manifestations réprimandées dans le sang, etc.
Réveil brutal
Aujourd’hui, dans les grins à Bamako, les discours laudateurs à l’endroit du régime ont fait place aux critiques acerbes et virulentes sur la conduite des affaires.
Le capital confiance placé en IBK il y a à peine une année fond comme beurre au soleil. Les voyants sont partout au rouge. Sa côte à l’image de son frère socialiste François Hollande dégringole un peu plus chaque jour. Sur les réseaux sociaux, des groupes se créent pour dénoncer le pilotage à vue de l’appareil d’Etat. Parmi ces groupes, on retient volontiers celui-ci au nom évocateur et plein de sens : « AN Filila » (on s’est trompé de choix).
Les conseils des ministres du fait de leurs irrégularités sont nommés par des confrères de l’Aube « coupé-décalé ».
Sans prétendre être exhaustif sur les déboires, les erreurs de casting, le goût immodéré pour le luxe de l’actuel régime, il faut bien terminer avec un cas particulier. Il s’agit de celui de Karim Kéïta alias «Le fiston national».
Un Karim qui comme son homonyme du Sénégal sorti de nulle part se voit aujourd’hui accorder tous les privilèges. A commencer par celui de Président de la commission défense de l’Assemblée Nationale qu’il a « reçu » face à un Général de police, Gnamé Kéïta. Son élection aux allures de nomination n’est pas passé inaperçue malgré toutes les tentatives visant à faire croire le contraire.
Et quand son père IBK dit dans son interview accordée à Jeune Afrique que ce choix de son fils lui a été imposé, il y a lieu de se poser des questions sur cette poigne qu’on lui prête. Aujourd’hui, le rejeton du Chef de l’Etat semble être le centre de gravité de toutes les décisions importantes de la République.
Karim Wade, après le départ de son père, n’a pas échappé aux juges. S’il est aujourd’hui libre, il en a bavé pendant 3 ans à la prison de Rebusse.
Mohamed Dagnoko : LE COMBAT