jeudi 28 mars 2024
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Sélingué Goun à Bamako : Une île centenaire au centre du fleuve Djoliba

Bamako ce n’est pas seulement les deux rives du fleuve Djoliba. Mais c’est aussi l’intérieur du fleuve où des âmes y vivent. A savoir les îles formées de quelques neuf îlots qui peuplent le Djoliba, sur sa partie qui traverse la capitale. Le Week-end dernier, nous nous sommes rendus sur l’îlot de Sélingué Goun (île de Sélingué), située entre les quartiers Sans Fil (sur la Rive gauche) et Badalabougou  (Rive droite).  Ces quartiers voisins à qui nous ne rendons pas visite tous les jours nous côtoient au quotidien. Immersion dans « un paradis sur terre » où l’on ne dort pourtant que d’un seul œil !

A quelques encablures de l’Hôtel Mandé, du premier ballon d’or africain, Salif Kéïta, sis à la citée du Niger, est située l’île appelée « Sélingué Goun ».  Le seul moyen de transport pour y accéder est la pirogue.  Si de nombreuses personnes, à partir de l’Hôtel Mandé, n’aperçoivent que les grands manguiers qui peuplent l’île, il existe de la vie sur cette île et, ce, depuis plus de cent (100) ans.

Après 15 minutes de traversée à bord d’une pirogue au moteur mal en point, aidée par des rames, nous voilà sur l’île. En approchant, les oies et les canards offrent un spectacle magnifique en secouant le fleuve de leurs beaux plumages. Des femmes à cette heure de la journée font la lessive  et la vaisselle sur les berges. Notre arrivée est saluée par de grands gestes évasifs du bras pour nous souhaiter la bienvenue. Sur une île de 120 Habitants  où tout le monde se connait, des plus petits aux plus grands, nous sommes l’objet de curiosité. Comme une traînée de poudre, la présence des «Etrangers» est signalée sur l’île. C’est le pied sali de boue que le chef du village, Besou Konta, vient à notre rencontre. Sur ce bout de terre de plus cinq hectares, les populations vivent comme au village. En cette période de l’année, leurs activités tournent au tour du maraîchage, de la fabrique de briques pour la construction des nouvelles cases.  Les femmes s’affairent dans les jardins potagers pour certaines et, pour d’autres, c’est au tour des marmites. Sur le fleuve, des hommes torses nus, pratiquent la pêche.

Les enclos sont ouverts, les bœufs, moutons chèvres et tant d’autres animaux domestiques sont conduits hors des jardins potagers pour brouter de l’herbe et s’abreuver à l’ombre des manguiers. Ils ne sont pas les seuls à profiter en cette période de chaleur des biens faits de la nature à travers cette  ombre de ces grands manguiers. En plus de profiter de leurs fruits, des personnes sur des nattes autour des théières  fumantes se prélassent sous les bruits des quelques vagues produits par le Djoliba. « Ici, pour nous, c’est le paradis sur terre », lance un d’entre eux avant de donner un coup de dents dans une mangue bien mûre qu’il tenait dans la main.  Besou Konta a, aujourd’hui ses 50 ans révolus, et est le Chef du village de cette île. Le premier habitant a été son père à lui, il y a, aujourd’hui, 101 ans.  Ce dernier a quitté Kolomna, dans la Région de Koulikoro, pour s’établir sur cette île avec sa famille et ses frères.

De l’ethnie « Bozo » avec la pêche comme activité principale, la richesse des eaux en poissons a motivé l’installation de leur père décédé en 2011. Si la chefferie est toujours assurée par la famille Konta, l’île, par le biais des mariages et des sollicitations, a accueilli depuis de nombreuses autres familles. C’est le cas de celle de Daouda Sanogo dont les parents sont venus de Tamani. Après le mariage d’une de ses sœurs avec la famille fondatrice, lui qui effectuait chaque année les allers et retours entre le capitale et son village, a fini par faire une demande d’obtention d’un lopin pour s’installer définitivement sur l’île avec sa famille. Il fait aujourd’hui partie des neuf Chefs de familles de l’île. Il est, d’ailleurs, le Responsable de toutes les activités qui touchent à la pêche.

De l’île à Bamako

Bien que vivant au milieu du fleuve, les habitants de l’île ne peuvent vivre sans leurs voisins sur les côtes. Ainsi, chaque matin, les deux petites pirogues et la plus grandes font des navettes pour accompagner ceux désireux de faire des commissions ou des achats en ville.  Les femmes et les enfants sont les plus transportés. Chaque matin, les femmes insulaires apportent sur les marchés voisins des quartiers Sans Fils et de Badalabougou les produits de leur maraîchage et de cueillette pour les vendre.

En cette période de mangues, elles approvisionnent ces deux marchés en grandes quantités. Mais ce que les femmes des côtes attendent le plus de leurs semblables insulaires, ce sont les poissons frais péchés par leurs époux.  «Nous sommes interdépendantes des femmes des quartiers de Sans Fils et de Badalabougou. Pour faire la cuisine nous devons aller faire le marché dans ces quartiers, mais nous contribuons aussi à l’approvisionnement de ces marchés par nos produits maraîchers, que sont les concombres, carotte, salades, patate douce, gombo, tomate, aubergine, poissons frais, etc.», nous dit Rokia Konta, à sa descente de pirogue après une vente fructueuse de mangues au marché de Badalabougou.  Ces rapports de commerce ont fini par tisser des véritables rapports humains, des liens familiers voire familiaux entre ces femmes de l’île et celles des quartiers environnants. C’est d’ailleurs grâce à une association de femmes du quartier Sans Fils, dirigée par Maïga Ina Diallo, que les Insulaires disposent tous aujourd’hui de motopompes pour arroser leurs jardins. Une aide qui leur permet d’exploiter le double des surfaces qu’ils exploitaient du temps où ils faisaient pousser leurs légumes par la seule force des bras.

L’autre trait d’union entre l’île et le quartier Sans Fils, ce sont la quarantaine d’enfants qui fréquentent l’école de ce quartier. En temps de cours, les deux petites pirogues sont mises à la disposition des élèves. Ainsi, ces gamins, à bord des pirogues très peu sécurisées avec des moteurs de fortunes, bravent chaque matin les flots pour aller à la recherche du savoir. L’autre pont entre l’île et les côtes et qui n’existe plus, ce sont les activités sportives. Yacouba Konta, qui a trainé sa bosse plus de trois ans entre l’île et Torokorobougou, en Commune V du District e Bamako, au centre de formation du Djoliba AC, sans pouvoir émerger, faute de soutien, selon lui, nous informe que l’île participait aux compétitions organisées dans les deux quartiers. Ainsi, les équipes de ces quartiers se rendaient sur l’île pour disputer des matchs. «Ceux qui constituaient cette équipe ce sont, pour la plus part, mariés. Les obligations familiales ne nous permettent plus de consacrer trop de temps au football. C’est pourquoi on ne participe pratiquement plus aux compétitions. Mais nos jeunes frères et nos enfants prendront bientôt la relève », assure Yacouba Konta.

Les Habitants du « paradis sur terre » s’approvisionnent en eau potable à  l’hôtel Mandé grâce à un frère qui y travaille. Mais ils espèrent  bénéficier bientôt d’un forage pour ne pas à la longue constituer un handicap à l’emploi de leur frère. S’il n’y a pas d’électricité sur l’île, les préoccupations sont, cependant, ailleurs. «Nous demandons aux bonnes volontés de nous aider avec de grandes pirogues équipées de moteurs pour transporter en toute sécurité nos femmes et nos enfants de l’île à la terre ferme de Bamako. C’est vrai que nous avons reçu des motos pompe mais si nous pouvons avoir des moteurs encore plus puissants, cela nous permettra de mettre en valeur toutes les terres cultivables de l’île. Nous avons la volonté et la force physique ; il ne nous manque qu’un peu de moyens », nous  dit Besou Konta, le Chef de village. C’est juste avant que notre équipe de reportage n’embarque en direction de l’hôtel Mandé, avec tous les bras chargés de mangues et d’autres présents.

S’ils ne le disent pas, les Habitants de l’île, bien qu’y vivant depuis plus d’une centaine d’années maintenant, voient d’un mauvais œil la boulimie foncière  des Bamakois. Le seul fait de penser qu’un beau jour un spéculateur veuille leur demander de quitter leur «paradis» au profit d’un nabab (ndlr : Riche) leur coupe le sommeil.

Mohamed Dagnoko : LE COMBAT

Rédaction

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