vendredi 19 avril 2024
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Leçons de Nouakchott : Le pari risqué de Macron

Le 31èmeSommet des chefs d’États de l’Union africaine qui s’est réuni les 1eret 2 juillet 2018 à Nouakchott, en Mauritanie, aura révélé bien des singularités : la seule présence du Président français Emmanuel Macron a éclipsé, dans tous les médias internationaux, celle des autres Chefs d’États africains qui n’y étaient pas tous, il est vrai.  

Aussi, l’ordre du jour du Sommet a été quelque peu relégué au second plan par une autre question, pas exclusivement africaine celle-là : la candidature au poste de Secrétaire générale de la Francophonie de la ministre des Affaires étrangères du Rwanda, Louise Mushikiwabo.

C’est que le lien entre tout cela est très tenu ! C’est bien le Président Macron, qui, le premier, a médiatisé et révélé la candidature rwandaise -d’aucuns diraient même fortement suscité. C’est en effet, le chef de l’État français Macron qui a rendu public le soutien de son pays à la candidature rwandaise à l’issue d’une rencontre avec son homologue rwandais Paul Kagamé, à l’Élysée, le 23 mai dernier.

L’influent hebdomadaire Jeune Afrique, dans un article paru récemment révèle même une histoire encore méconnue du grand public : l’idée de la candidature rwandaise a germé au cours d’une rencontre, le 23 février dernier à Bruxelles, en marge d’un sommet sur le G5 Sahel, de Moussa Faki Mahamat et son équipe avec le Président français Emmanuel Macron, son ministre Jean-Yves Le Drian et son conseiller Franck Paris.

Et cette démarche commence à susciter bien des interrogations dans le milieu politique français. L’on sait que Jean-Luc Melenchon patron et député des Bouches-du-Rhone de La France insoumise a adressé une question écrite au ministre français des Affaires étrangères et de l’Europe, Jean-Yves le Drian, à propos du soutien -que le leader de gauche désapprouve- de la France à la candidature rwandaise. Sa question, postée sur le site de l’Assemblée nationale, publiée au Journal officiel en date du 19 juin 2018, porte le n° 9601. Aux dernières nouvelles, le ministre français n’y avait pas encore répondu. Il est vrai que le chef de la diplomatie française dispose d’une bonne année pour donner suite aux questions écrites, à l’opposé des questions orales qui lui sont posées en plénière de l’Assemblée et auxquelles il est tenu d’apporter une réponse séance tenante.

Il se dit que, dans les prochaines semaines, « l’affaire rwandaise » pourrait se transformer en une « affaire française », tant d‘anciens diplomates et ex-officiers de l’armée, des ONG, des organisations de défense des droits de l’Homme, des intellectuels, s’interrogent sur les motivations profondes de ce soutien, sur ses probables conséquences, mais aussi sur les bénéfices réels que Paris peut tirer d’un rapprochement avec Kigali.

Soutiens de part et d’autre 

Pour l’heure, l’Afrique représentée à Nouakchotta a donc opté pour le consensus. Le contraire eût été étonnant, car il ne s’agissait là que d’une position de principe et non pas d’une procédure de vote. Passons sur les conditions d’obtention de ce consensus, les non-dits, les conflits d’intérêts évidents et analysons froidement les faits. On sait -parce qu’elle l’a déclaré- que Michaëlle Jean, l’actuelle Secrétaire générale de la Francophonie, est candidate à sa propre succession. On sait, parce que son Premier ministre Justin Trudeau l’a affirmé publiquement le 12 avril à Paris lors d’une visite officielle, que son pays, le Canada, soutient la candidature de Michaëlle Jean. Trudeau a réitéré son soutien au moment de la tenue du G7 au Canada, en juin et n’a pas manqué, alors même que se préparait le Sommet de Mauritanie, d’appeler au téléphone nombre de Chefs d’États africains dont ceux de Madagascar, de Côte d’Ivoire, du Bénin, du Cameroun et du Niger pour leur demander de soutenir Michaëlle Jean. Ces échanges téléphoniques ont été rendus publics par les services du Premier ministre canadien. Trudeau avait, en marge du G7, déjà rencontré le Sénégalais Macky Sall et le Rwandais Paul Kagamé. À tous, il a réaffirmé son soutien à Michaëlle Jean. C’est dire que le Canada est décidé à reconduire sa compatriote. Comme du reste, le Québec et le Nouveau Brunswick.

D’ici à la tenue du Sommet d’Erevan, sans doute, les projets des deux candidates vont être passés à la loupe. La ministre rwandaise des Affaires étrangères va certainement présenter sa vision de la Francophonie dont on sait peu de choses pour l’heure. Sa candidature ayant placé son Chef d’État sous les feux de l’actualité, la patronne de la diplomatie rwandaise devra aussi faire face aux accusations portées contre le système politique rwandais et ses « spécificités », le rapport de celui-ci à la démocratie, aux droits de l’homme, à la liberté d’expression. Enfin, le soutien de Paris, trop visible, n’est pas sans installer un malaise chez certains intellectuels africains pour qui le leader rwandais apparaissait jusque-là comme le chantre de « l’Afrique qui dit non ». Quant à l’actuelle Secrétaire générale de la Francophonie, il semblerait qu’elle met en avant son bilan à la tête de l’Organisation, qui en vérité, est loin d’être aussi « terne » que l’affirme François Soudan, le célèbre Directeur de la rédaction de Jeune Afrique -c’est ce qu’il écrit dans un éditorial publié dans le numéro 2999 de son hebdomadaire. Le patron de rédaction du magazine panafricain commet, au passage, deux erreurs factuelles, tant sur la date de la tenue du prochain Sommet qu’il situe « à la fin octobre » que sur l’intitulé de la fonction de l’intéressée. La rencontre des Chefs d’Etats se tient le 11 et 12 octobre 2018 et Michaëlle Jean est Secrétaire générale de la Francophonie et non pas de l’OIF, qui est dirigée par un Administrateur malien.

Un peu d’histoire

Il n’est pas inutile de rappeler que depuis la création du poste de Secrétaire général de la Francophonie -dans sa version actuelle- aucun consensus n’a pu être trouvé 48 heures avant le Sommet. En 1997, l’Égyptien Boutros-Ghali a été désigné qu’après que les ministres des Affaires étrangères n’aient pas réussi à s’entendre et, à l’issue de très longs échanges entre les Chefs d’État. À l’époque, le Rwanda s’était fortement opposé à la nomination de l’Égyptien au prétexte que celui-ci n’avait pas, du temps où il était Secrétaire général des Nations unies, tout mis en œuvre pour éviter que se produise le génocide. Il y eu ensuite l’élection de l’ancien Président du Sénégal, Abdou Diouf, qui comme chacun le sait, est porté à la tête de la Francophonie après d’âpres négociations qui se sont poursuivies jusque tard dans la nuit, la veille du Sommet de Beyrouth en octobre 2002. La désignation de Michaëlle Jean à Dakar en 2014 n’a pas non plus échappé aux négociations diplomatiques de dernière minute.

Il en sera toujours ainsi tant que le Secrétaire général de la Francophonie ne sera pas élu, mais désigné comme c’est actuellement le cas. De toutes les Organisations internationales de ce rang, la Francophonie est la seule qui n’élit pas son premier responsable. De plus, le chapitre 6 de la Charte de la Francophonie, base juridique sur laquelle est adossée l’ensemble du cadre institutionnel de l’Organisation -adoptée par le VIIe Sommet de la Francophonie (14-16 novembre 1997, Hanoi, Vietnam) et révisée par la XXIe Conférence ministérielle de la Francophonie (23 novembre 2005, Antananarivo, Madagascar- est peu bavarde, pour dire le moins, sur les modalités de désignation du Secrétaire général.

Une nouvelle campagne commence

Au lendemain du Sommet de l’UA, c’est une nouvelle campagne qui commence. Au fil des mois, le « consensus » de Nouakchott risque de se dissoudre dans les méandres de la realpolitik. Les États africains qui ont laissé taire leurs divergences au nom du principe de solidarité continentale vont maintenant reprendre leur liberté au nom du principe cher au Général de Gaule qui aimait à rappeler que « les États n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts ». Les compteurs seront remis à zéro. L’un après l’autre, les chefs d’États africains feront leur choix en fonction de considérations géopolitiques, d’affinités personnelles, de liens anciens tissés en d’autres périodes, de la proximité géographique, d’enjeux régionaux, de relations économiques … Certains acteurs présents à Nouakchott auront quitté le pouvoir d’ici le mois d’octobre, et de ce fait, ne seront pas présents à Erevan. D’autres, enfin, ne s’y rendront pas pour des raisons multiples et variées. Quid de Macron et de Trudeau ? Les deux dirigeants dont les pays sont aussi les deux plus importants contributeurs au budget de l’Organisation, sont unis par une forte alliance au sein du G7, pour faire obstacle et échec aux tentatives de déstabilisation de Donald Trump. Les deux uniques représentants de la Francophonie au G7 iront-ils jusqu’à la confrontation pour le poste de Secrétaire général de la Francophonie ? Pas sûr. Nul n’est donc aujourd’hui en mesure d’affirmer ce que feront les Chefs d’États et de Gouvernements le 12 octobre au soir, si les deux candidatures étaient maintenues.

Enfin, on n’a pas encore entendu l’avis des autres régions de la Francophonie qui n’ont jamais exercé la fonction de Secrétaire général -pays des Caraïbes, d’Europe centrale et orientale, d’Asie…ni les « grands pays » du Nord comme la Suisse, la Belgique, le Luxembourg, la Principauté de Monaco… Or, ces pays sont des contributeurs importants au budget de l’Organisation. Et la question budgétaire sera déterminante au moment du choix du Secrétaire général. C’est dire que la notion de « candidature africaine » que nombre d’acteurs agitent depuis des semaines peut être porteuse de ses propres limites : la responsabilité n’allant pas sans exigences, il se pourrait que les autres régions francophones se mettent à pointer du doigt le barème des contributions africaines au budget global de l’Organisation, jugées encore trop faibles…

Seydou KONATE : LE COMBAT

Rédaction

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