jeudi 18 avril 2024
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Le Ghana et la Côte d’Ivoire passent à l’offensive contre les multinationales du chocolat

Les deux pays ouest-africains reprochent à Mars et Hershey d’acheter du cacao ou du beurre de cacao sans payer la prime de 400 dollars par tonne de cacao pour les planteurs, négociée en 2019.

La Côte d’Ivoire et le Ghana, qui représentent ensemble les deux tiers du marché mondial du cacao, ont lancé une offensive médiatique sans précédent contre des multinationales du chocolat, qu’elles accusent de ne pas vouloir payer une prime spéciale pour mieux rémunérer les planteurs, dont beaucoup vivent dans la misère.

Dans des courriers divulgués aux médias et un communiqué de presse lundi 30 novembre, le Conseil Café Cacao (CCC) de Côte d’Ivoire et le Ghana Cocoa Board (Cocobod), les organes publics de gestion des filières cacao de ces deux pays ouest-africains, ont reproché à Mars et Hershey, deux géants chocolatiers américains, d’acheter du cacao ou du beurre de cacao sans payer le différentiel de revenu décent (DRD), la prime de 400 dollars par tonne de cacao (en sus du prix du marché) pour les planteurs, négociée en 2019.

Une démarche inédite

L’initiative est sans précédent de la part de ces institutions qui d’ordinaire ne communiquent quasiment pas, les marchés du cacao étant particulièrement opaques. Pour augmenter la pression, des marches de planteurs de cacao doivent être organisées simultanément en Côte d’Ivoire et au Ghana jeudi 3 décembre.

« La stratégie du CCC et du Cocobod est axée sur la communication, c’est nouveau. Ils vont faire du bruit, la presse va s’en mêler, le rapport de force peut tourner en leur faveur car les questions d’éthique sont devenues importantes pour les consommateurs occidentaux, donc pour les sociétés chocolatières et aussi pour les chaînes de distribution », analyse un trader.

Le CCC et le Cocobod ont de plus annoncé la suspension immédiate de tous les programmes de certification de Hershey dans les deux pays, là aussi une mesure inédite et potentiellement lourde de conséquences. Les programmes de certification des chocolatiers visent à garantir qu’ils achètent du cacao « durable » respectant des critères de production éthiques (n’entraînant pas de déforestation ou ne recourant pas au travail des enfants notamment). Ils sont un élément de communication et de marketing important en direction des consommateurs occidentaux.

Situation « préoccupante » pour les planteurs

La Côte d’Ivoire, où le président Alassane Ouattara vient d’être réélu, et le Ghana, où le président Nana Akufo-Addo vise une réélection le 7 décembre, jouent ostensiblement sur la corde sensible, dénonçant même un « complot » des multinationales du chocolat pour « appauvrir trois millions de paysans ouest-africains ». Hershey et Mars ont protesté de leur bonne foi, assurant payer le DRD et soutenir les petits planteurs.

Cette offensive conjointe de la Côte d’Ivoire (qui représente plus de 40 % de la production mondiale d’« or brun ») et du Ghana (plus de 20 %), survient alors que, sur le terrain, la situation est « préoccupante » pour les planteurs, selon Moussa Koné, président du Syndicat national agricole pour le progrès en Côte d’Ivoire, l’un des principaux syndicats de cacaoculteurs.

Le prix de 1 000 francs CFA (1,5 euro) par kilo de fèves de cacao décidé conjointement par la Côte d’Ivoire et le Ghana pour la récolte 2020-2021 (en hausse de 20 % sur l’année précédente) est « trop élevé » et il n’est « pas respecté par les acheteurs », explique-t-il. « Depuis Man, Danané, Douékoué [dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, grande région de production], on me dit qu’ils achètent à 900 francs CFA et à crédit en plus. Et beaucoup de cacao reste invendu », précise M. Koné.

100 milliards d’euros par an

Les planteurs des pays tropicaux sont les parents pauvres du secteur : ils ne perçoivent que 6 % des 100 milliards de dollars par an que représente ce marché mondial du cacao et du chocolat, verrouillé par les grands industriels. En Côte d’Ivoire, plus de la moitié d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté, selon une étude de la Banque mondiale, alors que le cacao fait vivre 5 à 6 millions de personnes. La situation est comparable au Ghana, où quelque 800 000 familles vivent de « l’or brun ».

Sur les marchés boursiers du cacao, à Londres et à New York, les prix sont volatils : les tensions entre pays producteurs et industriels les ont récemment fait monter, mais la consommation mondiale de chocolat est en berne à cause de la pandémie du Covid-19.

« Sur le fond, la Côte d’Ivoire et le Ghana ont raison de mettre les industriels en face de leurs responsabilités, juge un expert du secteur. Mais, sur la forme, ils vont loin, avec un langage agressif… Pas sûr que ce soit la meilleure stratégie » dans un marché tendu. « En 2019, la Côte d’Ivoire et le Ghana ont imposé le DRD à l’industrie sans rien donner en échange, comme des efforts pour une meilleure traçabilité par exemple. Si le bras de fer se durcit encore, qui va gagner ? C’est un jeu dangereux », estime le trader.

Le Monde avec AFP

Djibril Coulibaly

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