jeudi 28 mars 2024
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AMINATA KONATE BOUNE, PRESIDENTE DE LA 2EME GENERATION FRANCO-MALIENNE : «Le fossé est immense entre le peuple et la classe politique mue par une avidité et une cupidité croissantes»

Ces derniers temps, elle est très sollicitée par les télévisions en France pour sa connaissance et son attachement au Mali. Elle a ainsi été l’invitée de CNEWS (8 septembre 2020), «L’info du vrai» (Canal+, le 10 septembre 2020) et TV5 (dans la soirée du vendredi 11 septembre 2020). D’origine malienne et cadre de l’éducation nationale française, Mme Aminata Konaté Boune est très engagée sur le plan associatif sur les thématiques de l’éducation, l’émancipation de la femme et le développement durable. Fidèle lectrice de Le Matin, elle s’est confiée à la rédaction. Depuis Paris (France), elle se prononce sur les derniers événements sociopolitiques du pays et donne sa vision de la transition. Interview !

Le Matin : Avez-vous été surprise par le dénouement de la crise sociopolitique qui a secoué le Mali de juin au 18 août 2020 ?

Aminata Konaté Boune : Je parlerai plutôt d’étape que de dénouement. Les événements survenus le 18 août 2020 ne sont une surprise pour personne si l’on tient compte de l’ampleur de la contestation qui perdurait depuis plusieurs semaines. Il y a eu de nombreux événements précurseurs, allant des manifestations, aux remaniements, au décret d’abrogation de nomination des membres de la cour constitutionnelle pour ne citer que ceux-là, qui laissaient entrevoir la fin du régime et l’isolement du président avec, à chaque fois, la même revendication de démission. Tout ceci présageait incontestablement que le régime en était à ses dernières heures.

Cependant, la forme a pu surprendre : un putsch militaire qui n’a rencontré aucune résistance et qui s’est passé dans une atmosphère inédite et inimaginable pour de telles circonstances faisant dire aux esprits taquins qu’il s’agirait presque d’une révolution de palais. Sans compter l’exploit d’être parvenus à rassembler toutes les composantes de l’armée !

Pendant vos différents séjours, avez sentis les prémices d’une telle crise ?

Mon dernier séjour date de février 2020, à l’occasion du Forum de Bamako. La situation du pays était déjà préoccupante avec un nombre record de remaniements, une situation sécuritaire alarmante avec à chaque fois un nombre important de soldats et de civils tués, une économie anémique… Autant de signes avant-coureurs d’une crise profonde et irréversible en l’état.

Quelle est votre analyse de la prise du pouvoir par les militaires ?

Par définition un coup d’Etat est une mauvaise réponse à une bonne question posée. Entre l’appel au peuple et l’appel au secours, la différence est souvent minime. Bien qu’un coup d’Etat se fasse toujours au nom du peuple, du moins au début, force est de constater que deux coups d’Etat en moins de 10 ans prouvent manifestement que ça n’est pas, et ne peut devenir, la solution aux maux du Mali voire, d’une manière générale, de l’Afrique.

Il est incontestable que les militaires sont venus parachever la contestation initiée par le M5-RFP. Cependant, la clameur de la chute du régime a vite laissé place à une incrédulité quant aux intentions des putschistes. D’un discours rassurant, ils ont montré des velléités de confiscation du pouvoir qui ont d’ailleurs rapidement été dénoncées. Les concertations en cours (l’interview a eu lieu le 10 septembre 2020) vont rapidement nous permettre de connaître les véritables intentions des détenteurs actuels du pouvoir. Choisiront-ils d’être des accoucheurs de l’histoire ou des obstacles au changement ?

La CEDEAO veut imposer au Mali des civils à la tête de la Transition alors que de nombreux Maliens veulent un militaire au moins à la tête de l’organe de Transition. Qu’en pensez-vous ?

Je ne suis pas certaine que la majorité des Maliens soit favorable à ce que la transition soit présidée par un militaire. Il nous faut d’ailleurs être prudent dans nos affirmations. Nous sommes dans un pays ou les sondages sont inexistants et la contestation à Bamako, à elle seule, ne peut représenter les 20 millions de Maliens.

Cependant, l’histoire nous montre les limites des militaires quant à la gestion de l’Etat et de la société. La CEDEAO est dans son rôle avec ses règles. N’oublions pas qu’il, s’agit d’un «Syndicat de chefs d’Etat» qui craint avant tout que le cas du Mali ne fasse tache d’huile dans leurs pays respectifs. Plusieurs présidents de ladite organisation sont eux-mêmes en proie à des contestations persistantes.

Cependant, au sein de la CEDEAO nous assistons depuis peu à un changement de paradigme avec des chefs d’Etat en son sein qui ont exprimé une volonté de ne pas sanctionner davantage la population malienne déjà en grande difficulté sociale, économique et sécuritaire. Ce qui est déjà une innovation bienvenue, car il ne saurait y avoir de «punition collective». Et la nouvelle gouvernance de la structure par le Ghana laisse entrevoir une lueur d’espoir avec une vision volontariste et plus en phase avec les réalités africaines.

Comment expliquez-vous la méfiance des Maliens à l’égard de la classe politique ?

A l’ère des réseaux sociaux et de l’hyper connectivité, les Maliens ne sont pas en reste. Ils prennent de plus en plus conscience du contrat moral qui lie le politique à la population. Et lorsque ce contrat n’est pas respecté ils n’hésitent plus à le dénoncer et à s’en défaire comme c’est le cas actuellement.

La dégradation sécuritaire du pays, la situation sociale et économique inédite, les comportements inappropriés empreints d’une arrogance dont le Malien n’est pas coutumier, ont créé un fossé immense entre le peuple et la classe politique dirigeante mue par une avidité et une cupidité croissantes, au détriment de la population dont elle est censée être au service.

L’absence de justice, garant du fonctionnement de toute société, a irrémédiablement acté le divorce entre le peuple et cette Nomenklatura. Lorsque les contre-pouvoirs ne peuvent s’exercer librement à travers des élections justes et transparentes, lorsque l’arbitre est défaillant, de nouvelles règles du jeu surgissent. Ces nouvelles règles ne sont pas forcément les bonnes. Cependant, elles demeurent la seule issue pour une population à l’agonie.

La société malienne est un véritable cas d’école : c’est parce que le politique a failli que le religieux a pu entrer dans l’arène politique, c’est parce que le politique a failli que la sécurité et l’intégrité du territoire ne sont plus assurées. Et c’est parce que le politique a failli que les règles du jeu ont changé en cours de route avec un semblant de fatalité pour le Mali… où les coups d’Etat deviennent le mode de gouvernance. Le Mali n’est pas voué à demeurer dans ce cycle infernal et funeste. Les mobilisations citoyennes ont montré à la face du monde la résilience du peuple malien et sa capacité d’endurance pour une cause juste. Afin que tous ces efforts ne soient pas vains, la remise en question est nécessaire.

Selon-vous, quels doivent être les priorités pour les autorités transitoires ?

La vigilance citoyenne qui s’est amorcée ces dernières semaines doit perdurer afin de permettre une transition loyale et rapide pour aboutir à une structure démocratique durable. La période de transition n’a pas vocation à s’éterniser pour éviter tout enlisement. Cependant, sa durée est dépendante du contenu de la mission assignée. Il y a urgence et nécessité de préparer l’après transition en rompant avec les dérives connues, en renouant avec l’éthique, et en plaçant le pays, l’intérêt général, au-dessus de tout.

Les autorités transitoires devront mettre en place un gouvernement de combat avec un objectif de réussite affiché, afin de rassurer la population, bénéficier de son soutien et la rendre pleinement actrice de ce changement. Elle devra incarner et démontrer son sérieux en rompant avec les dérives connues de népotisme, de mauvaise gestion et de dilapidation des ressources.

Selon moi la priorité sera d’assainir le cadre juridique afin de permettre une normalisation. En poursuivant la réforme engagée par le ministre Malick Coulibaly (Justice, Garde des Sceaux), en utilisant les outils existants et en les perfectionnant au besoin. Je pense au rapport du Vérificateur Général, entre autres. Appliquer la règle des 80/20, qui consiste à prendre les 20 dossiers les plus importants qui régleront par ricochet 80 % des problèmes (d’après les économistes).

Est-ce que le coup d’Etat compromet vos projets au Mali ?

Pour l’instant nous sommes de facto dans un statut quo, sans gouvernement donc sans interlocuteurs. Certaines de nos activités sont donc à l’arrêt.

Quelles sont les difficultés auxquelles vous vous êtes heurtée jusque-là ?

L’instabilité gouvernementale qui a prévalu dans le précédent régime n’a pas été propice à faire avancer les choses. Le changement perpétuel d’interlocuteurs empêche la pérennité de toute action.

Comment voyez-vous l’avenir du Mali dans les mois à venir ?

En éternelle optimiste ! Pour moi la transition, ce sont des acteurs de l’ancien monde qui font émerger un nouveau monde et, à terme et surtout, des nouveaux acteurs. La mise en place de la transition sera déterminante pour l’avenir du Mali. Les militaires, qui ont toujours bénéficié du soutien de la population et qui ont été acclamés le jour du coup d’Etat, doivent se mettre au service du peuple en respectant l’engagement pris de rendre le pouvoir aux civils dans des délais raisonnables.

Ensuite, charge aux Maliens de prendre leur destin en main, chacun à son niveau en se demandant, comment individuellement il peut contribuer à une meilleure société, à un meilleur vivre ensemble. La première éducation au civisme a lieu dans le premier cercle, le cercle familial. Il nous faut donc renouer avec nos valeurs maliennes de vertu et de tempérance.

La vigilance citoyenne devra s’exercer en toute intelligence pour guider l’action gouvernementale et permettre aux contre-pouvoirs de s’exprimer pleinement. Il n’y a pas de société parfaite, nous serons en perpétuel réajustement, mais, pour ce faire, il est primordial de disposer des fondations propices à l’émergence d’une nouvelle société basée sur la paix, la sécurité et le vivre ensemble. Le reste deviendra alors possible….

Pour rappel 47 % des Maliens ont moins de 15 ans contre 41 % pour l’ensemble de l’Afrique, est-il nécessaire de dire qu’investir dans et pour la jeunesse est un devoir ? Les missions régaliennes de l’Etat à savoir l’Education, la Justice, la Santé et la Sécurité devront être conduites et dotées de moyens conséquents. Les moyens ne sont pas toujours pécuniaires. Les moyens humains, avec des hommes et des femmes compétents animés de l’éthique et du patriotisme nécessaire, en pareille époque en constituent le socle.

Espérons que le clin d’œil de la vie fasse émerger, parmi les putschistes, notre JR Rawlings à nous et que ce coup d’Etat soit le dernier.

Propos recueillis par

Moussa Bolly

Djibril Coulibaly

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