Au Mali, les élections présidentielles n’ont pas fini de faire parler d’elles. Moins de deux mois après la publication des résultats définitifs qui ont consacré la réélection d’Ibrahim Boubacar Kéïta, la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) vient de se séparer de son Président et de son Premier Questeur. Si les causes sont d’ordre financier, elles ont eu des répercussions sur les comptabilités et la fiabilité des chiffres annoncés par la Cour Constitutionnelle ; car, il y aurait encore de nombreux Rapports détenus par des Délégués de la CENI au Centre et au Nord du pays. Le 2eVice-président de la CENI, Maître Mahamane Mariko, s’explique.
LE COMBAT: La CENI vient de retirer à son Président et à son 1erQuesteur leurs responsabilités. Que s’est-il passé ?
Mahamane Mariko: Cette question va permettre de mieux édifier sur la situation à la CENI. En effet, nous avions tenu une Assemblée Générale, le 3 octobre 2018, présidée par Dazié Sogoba, Premier Vice-président, en l’absence du Président qui était en soins en France. À la plénière, nous avons décidé, compte tenu du constat amer, des manquements, de l’indiscipline financière, de la violation des manuelles des procédures, de créer une commission qui avait pour but d’écouter le 1erQuesteur, Beffon Cissé, et le Président, Amadou Bah, sur l’exécution du Budget 2018 de la Commission. Car, quand le 1erQuesteur nous a fait la présentation de l’exécution du Budget détaillé, nous avons compris qu’il y avait beaucoup de manquements et que des fonds remis par l’État aux démembrements de la CENI avaient été utilisés à d’autres fins. La commission a d’abord écouté le 1erQuesteur.
À son retour de traitement de Paris, le lundi 22 octobre, la commission s’est présentée et a voulu interroger le Président, car l’heure était grave parce que les démembrements sont aujourd’hui à leur quatrième mois sans salaires. Il fallait, donc, vite l’écouter et prendre les mesures à l’Assemblée Générale. Il a décliné sa responsabilité, prétextant qu’il était malade et devait rencontrer son médecin.
L’article 14 du Règlement intérieur de la CENI dit que, quand le Président est empêché ou indisponible, il est remplacé par le Premier Vice-président. La commission est venue voir le Premier Vice-président lui demandant en l’absence du Président de convoquer une réunion. Le Premier Vice-président, comme dans un jeu de ping-pong, a renvoyé la commission vers le Président, Amadou Bah ; car, dit-il, il a déjà fait la passation et n’avait, donc, aucune responsabilité.
En tant que deuxième Vice-président, la commission est venue me voir. Et, conformément aux dispositions de l’Article 14, qui me permettent à moi de provoquer la réunion en cas d’empêchement du Président et du Premier Vice-président. Et c’est comme cela que l’Assemblée plénière a entériné la caractérisation des fautes commises par le 1erQuesteur et le Président et a décidé de retirer leurs responsabilités.
Que peuvent être les conséquences de ce retrait de responsabilités sur la sincérité de la présidentielle ?
Dansl’ensemble, les élections présidentielles se sont déroulées dans le calme et la sérénité. Mais, actuellement, il y a des Délégués qui détiennent encore des Rapports de certains Bureaux. Surtout au Centre et au Nord du pays, parce qu’ils n’ont pas reçu leurs indemnités qui ont été bloquées ou détournées par le Président de la CENI et le 1erQuesteur.
Ce qui veut dire que la Cour Constitutionnelle n’était pas en possession de tous les Rapports au moment de rendre le verdict ?
Çac’est clair. Au niveau de la CENI, ces Rapports là n’ont pas été donnés. Les gens attendent d’être payés et ils retiennent ces Rapports comme un droit de rétention parce qu’ils attendent leurs indemnités. Et ils disent que «tant que vous nous payez pas, nous retenons ces documents».
Quel peut être, selon vous, l’impact de cette situation?
L’impact ?Nous avons eu la chance, si la Cour Constitutionnelle avait demandé la production de ces Rapports, c’en était fini pour la CENI. Parce qu’en cas de contestations devant la Cour Constitutionnelle c’est le Rapport du Délégué de la CENI qui vaut. Et si ces Rapports sont détenus au Centre et au Nord du Mali par des Délégués qui n’ont pas reçu leurs indemnités, vous voyez que ça peut amener beaucoup de problèmes et mettre la CENI dans un imbroglio juridique.
Et pourtant, les résultats ont été contestés devant la Cour Constitutionnelle !
Heureusement,les contestations n’ont pas concerné ces zones. Et la Cour a demandé les Rapports d’autres Régions et d’autres Cercles que la CENI a pu fournir et c’est ce qui nous a sauvé la face.
Propos recueillis par Mohamed Sangoulé DAGNOKO : LE COMBAT